1. Un enseignement élitiste
  2. La laïcité, une invention française ?
  3. Les occasions manquées
  4. Une égalité introuvable (?)
  5. Bibliographie
L'histoire impose de prendre conscience que pendant plus de 150 ans, le lycée (l'enseignement secondaire), n'est pas un niveau succédant à l'école primaire, mais une structure constituant un ordre parallèle: l'école primaire assure l'éducation du peuple, l'enseignement secondaire et plus encore le lycée privilégie l'éducation des enfants des notables et des bourgeois. Et les maitres enseignent dans l'ordre dont ils sont issus: l'école normale forme des instituteurs issus de l'ordre du primaire, l'université forme des professeurs issus de l'ordre du secondaire: Le cloisonnement est total.

Au fil de cette histoire, les mots collège et lycée vont totalement changer de sens, mais c'est une évolution en trompe l'œil et le caractère inégalitaire de l'enseignement s'il est moins visble n'en reste pas moins l'un des plus marqués d'Europe, un comble dans le pays de la déclaration des droits de l'Homme. La page est en cours de rédaction, merci de votre compréhension.

Un enseignement élitiste

Les collèges de l'ancien régime, sont des institutions non structurées qui abritent les élèves et les maitres jusqu'à l'obtention du premier diplome universitaire, le baccalauréat. Dans les collèges, la lutte est déjà conséquente entre l'université et les jésuites qui sont chassés en 1762. L'enseignement se limite aux langues anciennes, à la grammaire, la rhétorique et la philosophie. L'organisation est caractérisée par la répartition des élèves en classes correspondant aux niveaux d'études associée à un "enseignement simultané". Si ce choix de l'enseignement simultané assuré par les congrégations peut paraitre une évidence tant il s'est répandu, il n'était absolument pas incontournable. L'apprentissage qui concerne plutôt les savoir-faire manuels repose sur une organisation totalement différente.

La tentative inaboutie des révolutionnaires
Les écoles centrales sont crées en 1795 par la Révolution, dans l'intention, une par département. Publiques, les écoles centrales ajoutent les sciences (mathématique, physique), la morale et la politique au cursus. Mais la révolution n'a ni l'argent, ni les hommes pour assurer cet enseignement (Prost, 1968 p.24): les études démarrent à 12 ans et il n'y a pas d'internat. De ce fait prolifèrent des écoles préparatoires privées précédant l'école centrale et les pensions surtout pour les élèves qui n'habitent pas la ville. Les révolutionnaires n'auront pas vraiment le temps de concrétiser leurs idées, sans compter le fait que tous ne partagent pas le projet de Condorcet (Condorcet, 1792).

Napoléon met en place le lycée...
En 1801, le Concordat entre le Pape Pie 7 et le gouvernement français permet la rémunération par l'Etat des prêtres et des évêques; en contrepartie, ils prêtent serment de fidélité au gouvernement et le gouvernement choisit les évêques. Les édifices du culte non vendus après la révolution et les petits séminaires sont mis à disposition des évêques tout en restant proprété de l'Etat (pour les cathédrales) et des communes (pour les autres) qui en assurent l'entretien. Les congrégations religieuses ne sont pas concernées et le régine sera étendu aux protestants (Calvistes et Luthérien) en 1839 et aux juifs en 1845.

Dans ce contexte, Napoléon est considéré comme le fondateur des lycées qui remplacent les écoles centrales en 1802 et possèdent un internat. L'organisation, très structurée va montrer une pérénité extraordinaire. L'enseignement reste mixte (public et privé) en raison des mêmes contraintes matérielles qui s'imposaient aux révolutionnaires; l'enseignement des sciences se trouve progressivement repoussé dans les derniers niveaux (les deux derniers en 1921). Le lycée est public et payant sauf pour les boursiers (au nombre de 6 400 en 1802 d'après Prost p. 24). Ils sont complétés par des écoles secondaires communales et particulières privées (les communales deviendront publiques assez vite). En 1806 on n'arrive pas à créer les 45 lycées prévus, mais existent 370 écoles secondaires communales et au moins 377 écoles particulières; s'y ajoutent les petits séminaires formant les prêtres. Le contrôle de l'Etat déborde largement le périmètre des lycées: l'ouverture d'une école secondaire est soumise à l'autorisation du préfet et dès 1804 l'état intervient dans la nomination des professeurs des écoles secondaires communales. En 1806 l'Université impériale régit l'ensemble des enseignants du secondaire public (elle n'est pas reconnue par le Pape) et les élèves candidats au baccalauréat (qui sont exclusivement des garçons) doivent effectuer au moins les deux années précédentes de leur scolarité dans l'enseignement public.

Le but poursuivi à travers le développement du monopole n'est pas une recherche d'uniformité; il s'agit d'élever la qualité de l'enseignement par l'exemplarité et une forme de mise en concurence: les lycées sont classés en trois groupes (et même un quatrième à Paris); le salaire des professeurs dépend du classement.

Quand au baccalauréat, le terme apparait au sein de l'université de Paris au 13e siècle. Le baccalauréat est premier grade obtenu dans quatre facultés: faculté des arts, de médecine, de droit et de théologie; la faculté des arts étant généralement un préalable. S'il faut poursuivre les études pour obtenir une licence, c'est à dire le droit d'enseigner, les bacheliers (tous des garçons) peuvent jouer le rôle d'assistant des professeurs (un rôle basé sur la répétition).

...et le baccalauréat
La révolution avait supprimé l'Université, Napoléon établit "l'université impériale", étatisée, séparée de l'Eglise, avec trois grades: baccalauréat, licence et doctorat. S'il n'y a que 30 baccheliers en 1809, ils sont 2 000 en 1816 (Jean-B. Piobetta, 1937 cité par Wikipédia).

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Lycéen en uniforme, Rinquart (photographe), vers 1870, Musée national de l'Éducation.
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Un lycéen, costumes Français, planche 124, vers 1810, Musée national de l'Éducation
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Tristan Corbière en uniforme de lycéen, anonyme, 1859, vente Sotheby"s


Dans les lycées, l'organisation est quasi militaire; élèves et professeurs portent l'uniforme ou la toge, une obligation rappelée à de nombreuses reprises "dans l’intérêt de la discipline et de la gravité de l’enseignement" jusqu'à la fin du 19e siècle (ce qui montre que la règle était appliquée avec un certain laxisme).

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La cour du lycée Berthollet à Annecy, vers 1900: jeux en uniforme; auteur inconnu, fond Langlois, domaine public

A noter que Napoléon crée en 1805 les maisons d'éducation de la légion d'honneur (au nombre de deux) destinées aux filles dont les parents sont décorés de la légion d'honneur. Il s'agit surtout d'aider des filles pauvres ou orphelines de guerre (alors que pour les garçons existent de nombreux lycées militaires qui peuvent remplir cette fonction); le but n'est pas très ambitieux: Napoléon préconise des études simples, visant à «maitriser la vanité qui est la plus active des passions du sexe» et à faire en sorte que les élèves deviennent des mères de famille modestes (Rogers, 1992).

L'antithèse de l'enseignement simultané, l'enseignement mutuel s'est beaucoup développé en France dans la période révolutionnaire; il suscite une opposition résolue de l'église catholique et des congrégations; le pape Léon 12 l'interdit en 1824, une prescription reprise par le ministre François Guizot en 1833 sous la Monarchie de juillet, mais c'est un autre débat.

Pour autant les cours donnés par les professeurs sont loin d'occuper la totalité du temps scolaire; ils interviennent généralement dans deux séances quotidiennes de deux heures pendant lesquelles ils distribuent de très nombreux exercices. Ce travail personnel est réalisé ensuite sous la surveillance de maitres d'études ou répétiteurs censés aider les élèves (Prost, 1968, pp.50-58). S'y ajoutent des activités diverses, par exemple artistiques.

En 1809 la publication du réglement des lycées introduit une disposition lourde de conséquences pour la ségrégation scolaire: les lycées sont autorisés à ouvrir des classes précédant la classe de grammaire (la sixième). Les classes de huitième et septième seront progressivement distinguées des autres, les enseigants étant plus souvent des professeurs (et non des instituteurs); on y enseigne le latin, mais aussi une langue vivante étrangère. L'ensemble de ces classes est couramment appelé "petit lycée" et va former une filière parallèle à l'école primaire, qui perturbe le recrutement certes élitiste mais jusqu'alors plus ouvert, inspiré des écoles centrales. Il ne faut pas oublier que les élèves de l'enseignement secondaire constituent l'infime minorité privilégiée d'une classe d'âge.

La succession monarchie, seconde république, second empire n'est pas déterminante
Les lycées vont être appelés "collèges royaux" sous la monarchie entre 1814 et 1848, sans que de grands changements interviennent. La chute de l'empire favorise plutôt le monopole public: le nombre d'élèves des petits séminaires est limité à 20 000 pour éviter l'accueil des élèves ne se destinant pas au sacerdoce.

La loi Guizot de 1933 généralise les écoles normales de garçons dans un cadre départemental (elles forment les instituteurs) et il existe une quinzaine d'écoles normales de filles (elles attendront Paul Bert et 1880 pour être généralisées).

Le baccalauréat devient nécessaire pour poursuivre toute étude universitaire (comme le droit ou la médecine) et en 1840 Victor Cousin impose une épreuve écrite de version latine avant les autres épreuves, toutes orales jusqu'alors.

Pourtant l'opinion choisit plutôt l'enseignement privé, un choix validé par la loi Falloux, promulguée par une seconde République dominée par les partis conservateurs, qui rétablit la liberté de l'enseignement secondaire en 1850. Les maitres des établissements catholiques peuvent enseigner sans les titres exigés des autres, ce que Victor Hugo combat avec éloquence mais en vain.

Dès le début du 19e siècle la complexité de la question scolaire est mise en évidence. On peut l'exprimer sous forme de questionnements ou de dualismes:
- questionnement sur la lutte de pouvoir entre Eglise et Etat (plus que sur la religion) à travers la dualité public / privé (mais en 1806 le public possède une sorte de monopole); public ne doit pas être confondu avec laïque; sous la pression des familles l'éducation morale et religieuse est objet de toutes les attentions; un aumonier catholique est présent dans chaque lycée;
- questionnement sur le centralisme (uniformitarisme) à travers la dualité uniformité / diversité, mais l'enseignement à la maison ne peut être empêché et tous les lycées ne sont pas équivalents, ils sont concurentiels et hiérarchisés;
- un troisième questionnement peut même s'ajouter avec le dualisme humanités classiques / sciences dans le cursus. A l'époque, le choix des humanités classiques est sans équivoque conservateur.

Ces différents questionnements sont plus transversaux que concordants, ainsi la bourgeoisie s'inquiéte du voisinage entre boursiers et élèves payants dans les lycées contrôlés par l'Etat; la création des petits lycées répond en partie à cette inquiétude.

L'Etat est sousmis à un double questionnement: son rapport à l'Eglise se pose en terme de pouvoir, mais une autre interrogation est celle de la liberté des élèves et donc des enseignants; elle touche les contenus enseignés donc la question de l'enseignement religieux mais ne se superpose pas à l'interrogation qui précède. En 1852 Louise Michel, une institutrice agée de 22 ans crée une école libre en Haute-Marne parce qu'elle refuse de prêter serment à Napoléon 3 après le coup d'état de 1951 (elle créera deux autres écoles libres toujours dans la Haute-Marne, avant de se rendre à Paris); pour Louise Michel «il faut prendre en compte l'enfant comme un individu» mais les écoles privées laïques restent des exceptions.

Dans les années 1860, Victor Duruy ministre de l'Education de l'empereur Napoléon 3 mène une politique progressiste: il rétablit l'enseignement de la philosophie, développe les pratiques artistiques, crée le Certificat d'Etudes qui sanctionne la fin des études primaires (l'organisation est laissée au soin des Conseils Généraux, mais on ne peut s'y présenter qu'à partir de 11 ans, donc postérieurieurement à l'âge de l'entrée en sixième, marquant un peu plus la séparation entre les deux ordres d'enseignement). L'obtention du Certificat dispense de la suite des études (qui seront prolongées à 13 ans par la loi Jules Ferry de 1882) et permet donc l'entrée dans le travail.

Julie-Victoire Daubié, enseignante puis journaliste et militante féministe est la première femme a obtenir le baccalauréat en 1861 à l'age de 37 ans (et grâce à une autorisation spéciale, car les jeunes filles et les femmes ne pourront présenter sans difficultés le baccalauréat qu'à partir de 1924).

Rebecca Rogers. 1992. Les Demoiselles de la Légion d'honneur: Les Maisons d'éducation de la Légion d'honneur au 19ee siècle. Plon, Paris. (rééd. 2006. Perrin, Paris).

Nicolas de Condorcet. 1792. Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique. Gallica.

La laïcité, une exception française ?

La Commune de Paris invente la laïcité
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La défaite de Sedan face à la Prusse provoque la chute de l'Empire le 2 septembre 1870; la commune de Paris établie pendant 72 jours du 18 mars 1871 au 28 mai 1871, a, par sa bièveté, encore bien moins la possibilité de changer l'enseignement que les révolutionnaires de 1789, mais le foisonnement d'idées qui la caractérise constitue une source d'innovations qui seront consolidées bien plus tard ou restent d'actualité.

Le 2 avril, un décret sépare l'Eglise de l'Etat (les biens des congrégations religieuses sont sécularisés) et établit le principe d'une école laïque (l'enseignement religieux est interdit), gratuite et obligatoire, pour filles et garçons (57 % des élèves fréquentent un établissement primaire privé à Paris, contre 8,7 % en France, des faits révélateur de l'importance de la population bourgeoise). La commune de Paris marque une étape importante dans l'émancipation des femmes.

Une loi de compromis sur fond de guerre scolaire instaure la laïcité en 1905
A partir de 1870 des changements profonds sont portés par Jules Ferry et Ferdinand Buisson. L'enseignement du français s'ouvre à l'étude des grands textes (il était limité à l'enseignement de la grammaire et de l'orthographe), les collèges et lycées publics de jeunes filles sont crées à l'initiative de Camille Sée (mais Ferry refuse la mixité) et le cursus sera différent de celui des garçons. En 1881, l’éducation religieuse est supprimée dans l’enseignement public et en 1886 les religieux se voient interdits d’y travailler (Emile Combes ira encore plus loin en 1904 interdisant aux religieux d'enseigner dans les écoles privées, cf ci-dessous).

Pour remplacer la morale religieuse, les premiers manuels d'instruction civique et de morale apparaissent en 1882.

Jules Ferry, comme l'essentiel des progressistes de l'époque est favorable à la colonistion, un autre enjeu pour l'école, pas si différent, alors que les conservateurs s'y opposent; il meurt en 1893.

La loi de 1901 autorise la libre création des associations à l'exception des congrégations religieuses soumises à l'autorisation de l'Etat et à l'autorité de l'Evêque. L’autorisation s'impose en 1902 à toute école à laquelle participe une congrégation. Mais en 1904 les congrégations sont finalement interdites de tout enseignement par Emile Combes, ce qui provoque un conflit avec le pape Pie 10.

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Carte postale T; Bianco, 1905: l'effondrement du Concordat. Domaine public.
Un débat difficile auquel participent Aristide Briant et Jean Jaurès abouti au vote de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905. C'est une loi de compromis dont l'article 1 est abondemment cité: «La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes...». La rémunération des ministres des cultes disparait. Les bâtiments du culte sont confiées à des associations cultuelles qui ne peuvent recevoir de subventions de l'Etat et en assurent l'entretien à l'exception des grosses réparations.

La loi est violemment critiquée par le Vatican, mais bien acceptée par Protestants et Juifs. En 1906 un texte est publié par des cardinaux français avec l'accord du pape Pie 10 incite les familles à la vigilance envers l'école publique et leur prescrit d'en retirer leur enfants en cas de doute, en particulier lorsque certains manuels d'instruction civique, de morale ou d'histoire sont utilisés dans les classes (le texte est accompagné d'une liste de 14 manuels "mis à l'index")

La loi de 1905 laisse en fait la place à deux interprétations (Séminaire des Doyens, 2015, p.41):
- elle peut prendre le sens d'un combat (se référant aux "Lumières") pour dépasser les convictions particulières par la rationalité, pour promouvoir les sciences comme vecteur exclusif de la vérité;
- ou constituer un régime juridique de coexistence des libertés de conscience et de croyance sous l'autorité d'un état neutre (dans la limite des principes de la République: condamnation de la haine raciale par exemple) et de professeurs qui le sont également; aux professeurs d’éclairer plutôt que de convaincre, de donner aux élèves les moyens d’interroger leurs propres convictions, de faire la différence entre convictions, et préjugés.

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Un instituteur montre à un élève en uniforme des bataillons scolaires (une organisation pré-militaire crée par Paul Bert) les territoires perdus; 1887, Albert Bettanier; Domaine public, crédit Wikimedia
La tentation est grande de remplacer la religion de l'Eglise par la religion de la patrie (distinguée ou pas de la nation). Paul Bert avait écrit au début des années 1880: «il faut une pensée unique, une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu'une agrégation d'hommes juxtaposés» (Paul Bert, ) pour accompagner son manuel d'instruction civique. A vrai dire tous y succombent... plus ou moins. La défaite de 1870 a produit la Commune de Paris, mais la défaite est un traumatisme pour tous. Jules Michelet, par son Histoire de France, publiée de 1833 à 1867, Ernest Lavisse qui la transpose en 1884 à travers ses manuels scolaires sont à l'origine du "roman national" repris par beaucoup d'autres avec des variantes concernant le récit de la révolution française.

La guerre scolaire touche plus les écoles primaires que le secondaire (Dans les écoles primaires, elle se manifeste concrètement par la guerre des manuels d'instruction civique, de morale et d'histoire et le manuel de Paul Bert fait partie de ceux mis à l'index par l'Eglise).

Jean Jaurès est plus libéral que Paul Bert; sa lettre aux instituteurs et institutrices publiée dans le journal La Dépèche (Jean Jaurès, 1888) est devenue un texte iconique sur la liberté scolaire, plus encore que la lettre-circulaire de Jules Ferry qui l'a précédé (Ferry, 1883).

On lira aussi avec profit la déconstruction du roman national à laquelle s'est livrée Suzanne Citron (Citron, 1987): qu'il s'agisse de l'histoire de la France, de celle de l'espèce humaine ou celle de la vie sur Terre, la tentation d'un récit universaliste et déterministe guidée par une bienveillante main "divine" est toujours la même.

Un "lycée" pour le peuple
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Cours de dessin; école primaire supérieure de jeunes filles d'Angers. Domaine public.
En 1888 la loi organise un enseignement parallèle à celui des lycées destiné aux meilleurs élèves de l'école primaire et équivalent aux écoles normales formant déjà les instituteurs et institutrices (une première tentative avait eu lieu pour mettre en place cet enseignement en 1833, supprimé en 1850, rétablit en 1852 sans beaucoup se développer). Dans les cours complémentaires (souvent limités à une année et associés aux écoles primaires) interviennent des instituteurs. Dans les établissements du primaire supérieur et les écoles normales, l'enseignement est assuré par des professeurs, le diplôme terminal est le brevet supérieur que présentent aussi les jeunes filles des lycées (à part quelques autorisations spéciales, elles ne pourront présenter le baccalauréat qu'à partir de 1924). Comme pour les classes primaires depuis 1881 cet enseignement est gratuit. Le primaire supérieur (qui est en quelque sorte le "lycée du peuple") rencontre rapidement un grand succès: au début de 20e siècle il concerne 40 000 garçons et 20 000 filles.

En 1902 l'enseignement spécial qui avait été créé pour répondre aux besoins de l'industrie est intégré aux lycées où il constitue l'enseignement moderne (sans latin); le baccalauréat se passe en deux parties, en fin de première avec quatre variantes et en fin de terminale avec deux variantes: Mathématiques élémentaires et Philosophie.

Fabien Plazannet. 2017. A l'origine des manuels d’histoire de France. BnF.

IGEN. 2015. Valeurs de la république et laicité. Ministère de l'Education.

Christophe Bellon. 2005. Aristide Briand et la séparation des Eglises et de l'Etat - Du travail en commission au vote de la loi (1903-1905). Vingtième Siècle. Revue d'histoire #87, pp.57-72.

Suzanne Citron. 1987. Le Mythe national: L'histoire de France revisitée. . (réed. 2017. L'Atelier).

Jean Jaures. 1888. Lettre aux instituteurs et institutrices. Wikisource. La lettre originale (La Dépèche, BnF). Et aussi sa contextualisation (BnF).

Jules Ferry. 1883. Lettre aux instituteurs. Wikisource.

Les occasions manquées

Vers une école démocratique ?
Les années 1920-1930 sont marquées par une revendication d'égalité et d'unification des ordres d'enseignement, mais aussi par un puissant mouvement pédagogique né à la fin du 19e siècle au niveau international.

Les partisants de ce mouvement revendiquent une réforme profonde de l’enseignement reposant sur une connaissance scientifique de l’enfant et sur un renversement de la logique éducative. L’école doit s'adapter à l'élève et non l'élève à l'école. Il faut respecter les besoins et les intérêts se l'élève, lui permettre d'apprendre à travers l'expérience, par son initiative, par ses activités et par la coopération. Les formes prises par ce mouvement sont extrêmement diverses mais souvent regroupées sous le nom de "méthodes actives".

Ce mouvement perdure jusqu'à nos jours, surtout au niveau de l'école primaire (publique mais plus souvent à travers des écoles privées laïques), mais il n'a jamais réussi à être reconnu institutionnellement au niveau secondaire. Il a été pris en compte dans des projets comme le plan Langevin Wallon (1947) ou le rapport Legrand (1982), mais ces projets ont tous été abandonnés !

En 1924 le baccalauréat s'ouvre définitivement aux filles, avec un programme identique à celui des garçons.

En 1926 les programmes des petits lycées et des écoles primaires sont alignés et les instituteurs autorisés à enseigner dans les petits lycées; le concours de professeur des classes élémentaires des lycées est supprimé peu après.

En 1933 la gratuité du lycée public est instaurée (sauf pour les frais d'internat), mais un examen d'entrée en sixième est instauré pour limiter l'afflux des élèves.

En 1936 Jean Zay, ministre de l'Education du Front populaire, prolonge l'obligation scolaire à 14 ans, rapproche les cursus (programmes) du primaire supérieur de ceux des lycées sans parvenir à fusionner les deux ordres d'enseignement. Il ne parvient pas non plus à supprimer les "petits lycées". Son projet de loi réformant le système éducatif ne sera même pas étudié à l'Assemblée nationale, se heurtant (pour des raisons opposées et comme plus tard le projet Langevin Wallon) à l'opposition de la société des Agréges et aux craintes des intituteurs.

Mais Jean Zay ouvrira l'école sur la vie, permettant la sortie des élèves aux musées et aux théâtres, créant les classes vertes et les classes de mer. Emprisonné en août 1940 Jean Zay est assassiné par la milice en juin 1944.

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Jean Zay assiste au départ pour Les Sables-d'Olonne de la première colonie de vacances; gare Montparnasse, Paris, juillet 1937; auteur inconnu, © Archives nationales.

«La justice sociale n'exige-t-elle point que, quel que soit le point de départ, chacun puisse aller dans la direction choisie aussi loin et aussi haut que ses aptitudes le lui permettront ?
La société, comme l'individu, y trouvera son compte.
L'école unique, telle qu'elle s'affirme dans ce projet, sera tout à la fois une œuvre de justice et un instrument de progrès social.»

Pendant toute cette période, l'enseignement privé n'a pas disparu. L'interdiction faite aux congrégations d'enseigner, supendue pendant la première guerre mondiale, n'est pas réellement rétablie et se contourne facilement (les costumes religieux sont simplement abandonnés). L'enseignement privé accueille 45% des éleves (Prost, 2004 p.474), mais plus on va vers la classe terminale et plus il se réduit montrant un passage important du privé vers le public: s'il existe des cours complémentaires privés, il n'y a pas de primaire supérieur.

Le régime de Vichy, une parenthèse réactionnaire
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Couverture de partition, 1941 (Les éditions ultérieures remplaceront le bâton par le portrait du maréchal); crédit: Ville de Lyon.
Enfin, même minoritaires les militants anti-laïques sont présents. Le philosophe Jacques Chevalier se rend en 1937 auprès du général Franco pour réorganiser l'enseignement espagnol, une mission condamnée après coup par Jean Zay. Parvenu à se faire nommer secrétaire d’Etat à l’Instruction publique en 1940, il introduit dans les programmes les "devoirs envers Dieu" (face aux résistances, Jérôme Carcopino, son successeur, remplacera le mot Dieu par "civilisation chrétienne").

Le régime de Vichy accumule les symboles d'un retour en arrière: en 1941, il suspend la Ligue de l'enseignement, interdit le syndicat des instituteurs, supprime les écoles normales et l'enseignement primaire supérieur (fusionnées avec les lycées), rétablit le concours de professeur des classes élémentaires des lycées, ré-autorise le cathéchisme dans les écoles publiques et lève officiellement l'interdiction faite aux congrégations d'enseigner (ce qui leur permet de reprendre leur costumes religieux). Les subventions aux écoles libres sont à nouveau autorisées; les lycées redeviennent payants.

La Marseillaise est remplacée par l'hymne "Maréchal nous voilà" et le salut au drapeau est fréquement organisé dans les établissements scolaires.

En 1945, la gratuité des lycées est rétablie et celle des classes préparatoires aux grandes écoles établie (la gratuité ne concerne pas le petit lycée dont les classes sont censées disparaitre, mais l'ordonnance supprimant les petits lycées reste sans effet; il faudra attendre les années 1960 pour que le manque de place conduise à la réutilisation des locaux des petits lycées par les classes de sixième et les suivantes pour que les petits lycées disparaissent de fait).

Toujours en 1945 les variantes du baccauléat sont formalisées en trois filières distinctes: Mathématiques élémentaires, Philosophie et Sciences expérimentales.

"Langevin Wallon", entre mythe et réalité (détail)
L'ambitieux plan Langevin Wallon ne sera jamais mis en œuvre. Résultat du lent travail d'une commission présidée successivement par deux intellectuels communistes, Paul Langevin, physicien, qui meurt en 1946, puis Henri Wallon, psychologue, il est publié en 1947 dans un contexte où les communistes ont quitté le gouvernement et où il faut financer la guerre d'Indochine. Certaines de ses propositions vont réapparaitre dans une multitude de projets qui se heuteront au manque de moyens, mais aussi au corporatisme syndical, instituteurs du primaire et professeurs du secondaire se disputant les premières années qui suivent l'école primaire (c'est le cas du projet de René Billières en 1956).

Dans ses grandes lignes, le plan définit:
- Un enseignement gratuit, laïque et obligatoire jusqu'à l'âge de 18 ans avec un corps professoral unique de la maternelle au baccalauréat.
- Tous les futurs maîtres sont recrutés après le baccalauréat de leur choix pour effectuer leurs deux premières années préuniversitaires dans les Écoles normales avant deux années de licence à l'Université.
- Les cours complémentaires, collèges et premiers cycle des lycées (6e à 3e) sont fusionnés constituant le deuxième cycle du premier degré.
- Trois filières suivent, aboutissant chacune à un diplome: CAP, BEP, baccalauréat, c'est le troisième cycle du premier degré. On arrive à 18 ans, ce qui signe la fin de l'enseignement obligatoire; l'enseignement universitaire est renommé enseignement secondaire, un glissement sémantique sans doute nécessaire pour éviter le débat entre instituteurs d'une part et professeurs de lycée ou du primaire supérieur d'autre part. Les grandes écoles sont rattachées aux universités et accessibles après la license universitaire (les classes préparatoires disparaissent).

L'organisation des années qui suivent l'enseignement élémentaire et la description très précise de la formation des maitres retiennnent toute l'attention. Le plan Langevin-Wallon élève considérablement le temps de formation des maitres de "matières communes" qui remplacent les instituteurs, l'alignant sur celui des maitres de spécialité, créant un corps unique d'enseignants de la maternelle au baccalauréat (si on met à part les agrégés). Pour les élèves la durée de la scolarité obligatoire augmente de cinq ans, un quasi doublement, même si de nombreux élèves vont déjà au delà de l'obligation.

D'autres sujets sont traités plus succintement comme celui de l'apprentissage et de la place des activités manuelles. On sait qu'ils ont donné lieu à des débats difficiles.

Une analyse sémantique du texte du plan relève une apparition du terme éducation sexuelle dans le paragraphe consacré à l'hygiène mais enseignement privé (ou libre) est définitivement absent (un tabou ?), alors que de violents débats ont lieu par ailleurs entre partisans du maintien des facilités octroyées aux écoles libres par le régime de Vichy et les laïques intransigeants.

Certaines propositions du plan sont carrément visionnaires, comme celle d'un revenu étudiant (toujours d'actualité).

L'appel à un renouvellement pédagogique insiré des mouvements d'éducation nouvelle des années 1920-1930 reste assez flou mais les prescriptions concernant l'éducation morale et civique, lumineuses, peuvent servir d'exemple: Cette éducation morale et civique se fera, en effet, à partir de la vie scolaire tout entière et à partir de méthodes basées sur l'activité et l'expérience personnelles. Ainsi, la plupart des services scolaires doivent être pris en charge par les élèves sous l'autorité de leur(s) maitre(s), l'organisation de coopératives scolaires sera gérée par eux et ils participeront ensuite à des services sociaux et à des travaux d'intérêt général à l'extérieur de l'école (cela ne vous rappelle-t-il pas le "Service National Universel" en bien plus réaliste et en plus construit ?).

Le plan est d'autant plus mythique qu'il n'a pas été appliqué, comme tous les êtres fauchés dans l'élan de leur jeunesse sans avoir été confrontés à la vie. Avec le recul du temps, il est cependant possible de pointer une contradiction majeure entre la revendication d'une égalité de droit à l'épanouissement maximum pour chaque enfant et l'absence d'analyse de l'origine des inégalités scolaires. Le plan revendique l'adaptation de la structure de l’enseignement à la structure sociale comme si la structure sociale était intemporelle et comme si les inégalités d'aptitudes des élèves en étaient indépendantes. En filigrane le plan génère l'idée (fausse) d'ascenseur social. On objectera que dans une société en reconstruction après le désastre de la guerre, qui vient tout juste de reconnaitre le droit de vote aux femmes, revendiquer l'égalité économique dans la société est peut être prématuré.

La page dédiée développe l'analyse du plan Langevin-Wallon.

Dans une dernière tentative pour la 4e République d'appliquer au moins en partie le plan, René Billière supprime en 1956 l'examen d'entrée en 6e, mais ne parvient pas à mettre en œuvre son projet d'école moyenne faisant succéder à l'école élémentaire un cycle d'orientation de deux ans dont une année de véritable tronc commun.

La loi Debré accentue l'aide à l'enseignement privé apporté par les lois Marie et Barrangé
Les lois Marie et Barrangé de 1951 accordent le bénéfice des bourses aux élèves de l'école privée et le versement d'une allocation scolaire soit à une caisse départementale publique, soit à l'association des parents d'élèves pour le privé. Les français sont divisés sur le sujet des subventions et les pressions sont multiples.

La loi Debré de 1959 propose aux établissements (là où existe un besoin scolaire reconnu) un contrat d'association: l'Etat prend en charge les dépenses de fonctionnement et les traitements des maitres en échange du respect des horaires et des programmes ainsi que d'un contrôle pédagogique et financier. Pour faire face au craintes de l'Episcopat, le respect du "caractère propre" de l'établissement (notion assez floue) est reconnu dans la loi et un deuxième contrat moins contraignant est proposé dans lequel l'Etat ne participe qu'au paiement des salaires des maitres, les collectivités locales pouvant apporter des subventions complémentaires.

Malgré les protestations des laïques, ces avancées considérables pour l'enseignement privé vont s'inscrire dans la durée, l'enseignement sous contrat obtenant même la titularisation de ses anciens maitres et la possibilité d'ouvrir des écoles sous contrat simple en absence de besoin scolaire reconnu. L'indiférence, voire le soutien des parents à l'enseignement privé n'est pas (plus ?) dicté par le contenu confessionnel mais un choix de services supplémentaires et surtout un choix de classe sociale.


L'explosion scolaire
L'abandon répété de tous les projets plus ou moins inspirés du plan Langevin Wallon contraste avec la profonde évolution de la demande éducative qui se heurte à un système inadapté poussé au bord de la rupture.

En 1914, moins de 5% des enfants poursuivaient leurs études au-delà de la scolarité obligatoire, dont le terme était alors atteint à treize ans. En 1958, alors que cet achèvement est fixé à quatorze ans, le pourcentage est de l'ordre de 65% pour l'ensemble du pays. Il dépasse 75% dans les grandes villes et atteint 84% à Paris.

En 1959 la réforme Berthoin prolonge la scolarité à 16 ans; mais son application (prudente) l'étale sur 8 ans; la même réforme change le nom des Cours Complémentaires (qui proposent un enseignement général jusqu'en fin de troisième) en Collège d'Enseignement général (CEG) et tente d'harmoniser leurs programmes avec ceux des lycées; la réforme met en place un cycle d'observation en 6 et 5e avec, retardé d'un trimestre, le choix entre enseignement classique (dispensé uniquement en lycée et enseignement moderne (sans latin) enseigné en lycée et CEG; en fin de 5e les élèves sont censés pouvoir choisir entre les différentes filières; mais les élèves qui n'ont pas le niveau en fin de CM2 restent en primaire; mais les maitres des CEG restent issus des instituteurs et ceux des lycées des professeurs formés à l'université; et au final les élèves de 5e poursuivent en 4e sans changer d'établissement (sauf ceux orientés vers l'enseignement technique: CET), ce qui marque l'échec de la réforme.

La concurence entre cours complémentaires et lycées va accentuer le gonflement des effectifs, mais il est plus facile pour les cours complémentaires de recruter des maitres que pour les lycées, les universités elles mêmes à cours d'enseignants ne pouvant former plus de professeurs. Les lycées recrutent massivement des maitres-auxilliaires aux formations plus qu'inégales.

Les collèges d'enseignement secondaire (CES) sont créés en 1963 avec 3 filières:
- l'enseignement général long (classique ou moderne M1) aboutissant aux lycées et sanctionné par le baccalauréat;
- l'enseignement général court (moderne M2) poursuivi par une classe complémentaire (CEG) ou conduisant à l'enseignement professionnel en deux ans (collèges d'enseignement technique (CET);
- un cycle de transition (sixième et cinquième) suivi d'un cycle terminal pratique.

Il semble que le latin ait été reporté en 4e dans un premier projet, mais le ministre de l'Education a finalement mis de côté ses ambitions face à un premier ministre (Georges Pompidou) agrégé de Lettres classiques.

Les CES sont mixtes (filles et garçons) et accompagnés par la création d'une carte scolaire, officiellement pour organiser l’offre éducative sur le territoire; la carte définit l’aire de recrutement de chaque établissement; mais les CES, peu nombreux, coexistent avec les CEG et les 6e à 3e des lycées; mais les CES ne font que regrouper les filières existantes dans un même lieu sans rien modifier (ce n'est pas tout à fait rien car le ministère compte sur l'influence entre filières).

En 1965 la différenciation des filières de lycée est mise en place dès la première (elles sont nommées A, B, C, D, E); la filière B étant une nouveauté. L'examen (la première partie du baccalauréat) est supprimé en fin de première pour être finalement remplacé (en 1969) par une épreuve anticipée de français. Cette réforme met en évidence l'évolution qui a lentement substitué les mathématiques (le bac "série C") aux humanités classiques (le bac "philosophie") comme identifiant de sélection sociale.

Des établissements construits à la va vite et qui s'effondrent encore plus vite
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Collège Edouard Pailleron, Paris 19e, février 1973. Crédit: INA.
On construit (un collège par jour, un lycée par semaine) sans trop se préoccuper de la sécurité et encore moins de la qualité architecturale. Le 6 février 1973 à 20:00, 58 rue Edouard Pailleron dans le 19e arrondissement de Paris le collège du même nom contruit trois ans plus tôt est détruit par les flammes en moins de 30 min entrainant la mort de 18 personnes dont 14 enfants (heureusement, il n'y avait plus que des activités associatives à cette heure tardive, sinon le bilan aurait été encore plus dramatique). L'incendie avait été déclenché par un élève qui pensait le bâtiment vide pour se venger du fait d'avoir été relégué dans une "classe poubelle". Un accident qui en dit long sur les établissements scolaires et sur leur fonctionnement: des élèves (plus privilégiés) du lycée Hélène Boucher, situé un peu plus au sud dans Paris, déclarent «s'il nous prend envie de faire sauter les lycées, c'est qu’on y risque sa vie, c'est qu'on nous y tue d'ennui». Il faudra plus tard dépenser beaucoup d'argent pour améliorer l'architecture scolaire, mais l'ennui ne sera jamais traité...

Un colloque prémonitoire
Le 15 mars 1968, s'ouvre à Amiens un colloque "Pour une école nouvelle" auquel le ministre de l'Education, Alain Peyrefitte, pourtant conservateur finit par participer. En aval des événements de mai, le colloque plaide pour une très large autonomie des établissements scolaires et propose un certain nombre de réformes qui seront partiellement appliquées après mai... et malheureusement très vite abandonnées.

Une abondance de publications est parue lors du cinquantenaire du colloque, beaucoup regrettant l'occasion manquée, d'autres comme Antoine Prost l'accusant d'avoir fait peur. Toujours est-il qu'il s'agit d'un événement singulier comme en témoigne la phrase de clôture prononcée par Robert Mallet, recteur de l'académie d'Amiens et hôte du colloque: «Le seul moyen d’éviter les révolutions, c’est d’en faire».

Mai 68
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"Sois jeune et tais-toi"; atelier des beaux arts, 1968. Crédit: Bnf.
En 1968 le ministre de l'Education Edgard Faure ouvre la voie à une certaine autonomie, exercée essentiellement par un "conseil d'administration" des collèges et des lycées composé de représentants de l'administration, mais aussi d'enseignants, de parents, d'élèves, élus par leurs pairs.

La formation des instituteurs et professeurs de collège est allongée (et passe par l'université pour les professeurs de collège).

L'attachement au latin qui en 1963 rendait impossible un tronc commun curriculaire en 6e et 5e apparait d'un coup périmé (la mise en retrait de George Pompidou remplacé en tant que premier ministre par Maurice Couve de Murville a sans doute facilité les choses); le début de l'enseignemnt du latin est reporté en 4e; dorénavant, l'ancienne filière "classique" ne différe plus en 6e et 5e des anciennes filières "modernes M1 ou M2" que par le type d'établissement où elle est enseignée et par les enseignants: filière 1 dans les lycées par des professeurs, filière 2 dans les CEG par les PEGC (et les deux filières coexistentent dans les CES là où ils existent). Persistent quand même les classes de transition, filière 3 confiées à un instituteur, mais on y introduit l'enseignement d'une langue vivante. En réalité, si l'abandon du latin en 6e et 5e est aussi facile, c'est parce que les mathématiques l'ont remplacé pour identifier la filière destinée à l'élite.

Les compositions trimestrielles sont supprimées (remplacées par des contrôles réguliers réalisés en classe en temps limité) et, pire pour les conservateurs, la notation sur 20, ainsi que les classements. Les pédagogies actives sont valorisées, les horaires développent les disciplines dites d'éveil (sciences expérimentales, arts); 10h de dédoublement de classe sont mis en place en filière 1 et 2 lorsque l'effectif dépasse 24 élèves. Les cours du samedi après-midi disparaissent. Le mercredi devient jour de congé scolaire en remplacement du jeudi (1972).

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Affiche Sgen-Cfdt, vers 1976: "Réforme Haby, mainmise sur l'école"; auteur inconnu.
Le trompe-l'œil giscardien du "collège unique"
Si la gauche perd les élections présidentielles de 1974, nombreux sont ceux qui conservent l'espoir d'une alternance politique et d'un changement de modèle de société. L'expression "collège unique" a été inventée et utilisée pour la première fois, en 1975, par le président de la République Giscard d'Estaing parce qu'elle porte, pour son auteur, un message fort (qui n'était sans doute pas totalement partagé par le ministre de l'Education). Ce contexte politique explique sans doute l'indécision de René Haby dont la loi votée le 11 juillet 1975 est précédée et suivie d'une multitude de mobilisations de lycéens puis d'enseignants.

Si la loi fusionne les filières type 1 et type 2 des CES, supprime les CEG et les classes de 6e à 3e des lycées, elle est globalement floue et la réforme ne se concrétisera que progressivement par une multitude d'ordonnnances et de décrets. En 1977 René Haby abandonne l'idée de créer un corps de professeurs de collège recruté à bac +2, puis celle du retour d'un baccalauréat en deux parties, la première constituant un diplôme de fin d'études de second cycle, la seconde plus sélective et plus spécialisée déterminant la suite des études universitaires. La seule pédagogie mise en place pour accompagner la fusion est le "soutien ou approndissement" (1 h hebdomadaire en 6e et 5e). La réforme se caractérise aussi par une économie de moyens.

Pour autant, le collège unique consiste à rassembler les différents enseignants sans changer leur statut et à mélanger les élèves (en apparence seulement, parce que les familles mettent très vite en place des mécanismes de contournement pour éviter une trop grande mixité scolaire).

En milieu urbain, la carte scolaire ne fait qu'entériner une ségrégation géographique entre classes sociales; et si elle ne suffit pas, à l'entrée en collège, on choisit une langue comme l'allemand pour être dans une "bonne" classe; plus tard, pour passer dans le lycée le plus réputé (en général celui qui possède les classes préparatoires), on choisit une option qui n'est enseignée en seconde que dans ce lycée. Dernier recours, le soutien apporté à l'enseignement privé (qui correspond à la demande des familles) est devenu soutien aux privilèges de ceux qui le choisissent, non par conviction religieuse, mais par le souci de s'affranchir de la mixité sociale.

Ceci n'empêche pas la droite (Le SNALC, la société des Agrégés, etc.) d'accuser le gouvernement de mettre en œuvre le plan Langevin-Wallon à travers la réforme Haby qu'ils qualifient de "plan communiste" !

La réforme Haby est aussi l'occasion d'une reprise en main administrative après les libertés accordées en 1968. Un décret limite strictement aux questions financières (budget et compte administratif) et au vote du règlement intérieur, le rôle du conseil qui devient consultatif, la tutelle administrative conservant la décision finale. Ce basculement se traduit d'ailleurs par un changement de dénomination: le conseil d'administration devient conseil d'établissement.

Les programmes d'enseignement eux-mêmes sont revus dans un sens conservateur et uniformitariste.

En 1977 la condamnation de la réforme par les syndicats enseignants est unanime (mais pas toujours pour les mêmes raisons). Le Sgen-Cfdt était alors particulièrement en pointe, ce qui n'était pas étonnant dans une confédération qui défendait l'autogestion et parce quil était quasiment le seul syndicat enseignant à défendre une idée phare du plan Langevin-Wallon: le corps unique des maitres de la maternelle au baccalauréat.

En 1981, 4 années plus tard dans sa commande à Louis Legrand d'un rapport sur le collège,le ministre de l'Education Alain Savary écrit: «Le principe de l’hétérogénéité des classes, appliqué sans être assorti d’une authentique politique d’aide pédagogique aux élèves en difficulté et d’une formation adaptée des enseignants, a progressivement été vidé de son contenu», actant l'échec de la réforme Haby. 

Pour un collège démocratique
Louis Legrand, n'est pas choisit par hasard: il a piloté une importante expérimentation nationale de collèges sans filières commencée en 1967, avant mai 68, et bien avant le la loi Haby. Le rapport, intitulé "Pour un collège démocratique" ou plus simplement "Rapport Legrand", qui s'appuie sur cette expérience, est un gros livre de 360 pages consacré au seul collège (là où le plan Langevin-Wallon qui balayait la totalité de l'éducation en comportait dix fois moins...). Ambitueux, les différentes propositions sont en synergie les unes avec les autres. Jamais mis en œuvre dans sa globalité, il a souvent été caricaturé en isolant des éléments les un des autres, les affaiblissant et en supprimant le sens qui découlait de leur mise en relation.

Alain Savary annonce son soutien au rapport et engage une mise en application prudente et progressive (Alain Savary, 1983, sur le site gouvernemental vie publique.fr).

La suite est en cours d'écriture

Jean Zay. 1937. Projet de loi (mars 1937). CNRS Lyon.

Jean-Yves Seguy. 2019 (2021). Jean Zay et l'expérience des classes d'orientation (1937-1939). OpenEdition Books.

Jean Zay. 1937. La Réforme de l'enseignement, conférence faite à l'Union rationaliste le 29 novembre 1937. BabordNum, consulté le 18 juin 2024.

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Louis Legrand. 1982. Pour un collège démocratique. La documentation française.

Catherine Dorison. 2018. Louis Legrand et la réforme des collèges in Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ere nouvelle 2018/2 (Vol. 51). pp.25-42.

André Désiré Robert. 2008. Autour de mai 1968, la pédagogie en question. Le colloque d'Amiens in Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ere nouvelle 2008/3 (Vol. 41). pp.27-45.

Une égalité introuvable (?)

Une mixité (de genre) qui s'installe sans effort apparent
La coéducation était pronée par Condorcet (Condorcet, 1792) avec déjà une connotation féministe, mais c'est uniquement le pragmatisme qui la mettra en application et de façon très limitée. Dans les petites écoles rurales la mixité s'impose par nécessité de moyens dès que les filles ont accès à l'éducation même en pays catholique (les protestants ont toujours été plus favorables). En 1908, l'Ecole Alsacienne de Paris, une école privée d'inspiration protestante, mais laïque, adopte la mixité dans toutes les classes.

Depuis 1959 (réforme Berthoin), les lycées nouvellement construits sont tous mixtes. Il en est de même des CES en 1963 et des écoles élémentaires en 1965.

L'Eglise catholique historiquement résolument opposée à la coéducation des garçons et des filles accepte de la tolérer en 1958; et en 1966 dans la foulée de Vatican 2, elle la recommande ! Seules des écoles catholiques intégristes dissidentes, des écoles juives orthodoxes pratiquent aujourd'hui une éducation non mixte.

1972 : l'Ecole Polytechnique devient mixte. 1975: ce n'est pas l'objectif principal de la réforme Haby, mais la mixité est rendue obligatoire dans tous les établissements publics d'enseignement de la maternelle au baccalauréat, la mesure ne fait le plus souvent qu'entériner un état de fait et ne soulève aucune opposition apparente; elle peut être source d'économies en particulier au niveau primaire. Les établissements publics d'enseignement sont aujourd'hui tous mixtes à deux exceptions près: les maisons d'éducation de la Légion d'honneur (Saint-Denis, Saint-Germain en Laye), un héritage napoléonien (très élitiste).

Par contre une loi votée en mai 2008 dans de curieuses conditions annule pour l'enseignement privé sous contrat ou même pour l'enseignement public l'obligation de respecter la loi Haby de 1975. Ainsi il est légal pour un établissement ultra-conservateur comme Stanislas de mettre en place des classes non mixtes (ce qui ne signifie pas que toutes les pratiques de cet établissement sous contrat soient légales...).

Pour autant une inégalité de genre persiste et l'orientation des filles différe profondémment de celle des garçons.

Une absence persistante de mixité sociale

La suite est en cours d'écriture

François Dubet. 2019. Inégalités scolaires: structures, processus et modèles de justice. Revue européenne des sciences sociales 57-2. DOI: 10.4000/ress.5736

Pour une voie du milieu
Les dualismes construits pour l'analyse du lycée napoléonien doivent être mis à jour:

La question du pouvoir ne se pose plus de la même façon entre Etat et Eglise catholique, même si cette dernière à gardé dans l'institution scolaire une place qu'elle a perdu dans la société civile par le développement de la sécularisation; au dela des questions de principe, l'enseignement catholique présente une assez grande diversité. La lutte du pouvoir serait plutôt aujourd'hui entre l'Etat et les réseaux sociaux et plus généralement certaines entreprises multinationales (comme celle nommées dans l'acronyme Gafam), par écrans interposés: les algorithmes addictifs ont pris la main sur les cerveaux pour le plus grand bénéfice de la société de consommation.

La question de la laicité a fait son apparition dans l'école à la fin du 19e siècle lorsque les "républicains" anti-religion veulent se débarrasser de l'Eglise et des congrégations, parce qu'ils ont acquis les moyens (d'enseigner) que les révolutionnaires de 1789 n'avaient pas. S'il s'agit de remplacer les religions monothéistes par une religion d'Etat (comme la religion de la nation), il est permis de penser que le processus n'est pas totalement aboutit. Le lever du drapeau, la répétition à tout va d'un chant des plus violents et xénophobe («qu'un sang impur abreuve nos sillons...») fut-il notre hymne national, ne sont-ils pas des signes "religieux" ostentatoires ? La laïcité prend une tournure différente lorsque l'opposition n'est plus le fait d'institutions mais est médiatisée par des élèves (plus ou moins manipulés).

La question de l'uniformité est présentée par ses partisants (en invoquant un "universalisme républicain") comme comme garant de l'égalité; en débattre est presque un tabou au point que cette uniformité apparait comme une singularité française.

La suite est en cours d'écriture

Bibliographie

L'éducation et l'école en France. BnF.

Claude Lelièvre. 2022. L'école républicaine ou l'histoire manipulée. Le bord de l'eau.
Ce petit livre (133 pages) écrit sur un ton polémique, parce qu'il se veut une réponse à tous ceux qui détournent l'adjectif "républicain" pour défendre une école en réalité réactionnaire, fournit un excellent résumé de tous les débats autour de l'enseignement secondaire, passés et présents.

Suzanne Citron. 2016. L’Etat français est-il républicain ?. Libération, 27 avril.
Trop peu d'analyses remettent en cause le dogme d'une éducation prétendument égalitaire et présentée comme la même pour tous (dans ses plus petits détails) sous couvert "d'universalisme républicain". «Maintenu après le Second Empire et la Commune par les fondateurs de la 3e République, reconduit au lendemain de Vichy après une épuration sans gloire, l'appareil d'Etat est demeuré vertical, hiérarchisé, normatif, bureaucratique». Suzanne Citron, citée par Libération du 22 janvier 2018. Merci !

Philippe Savoie. 2005 Création et réinventions des lycées (1802-1902) in Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d'histoire. Institut national de recherche pédagogique, 2005. pp. 59-71.

Dous la direction de Louis-Henri Parias. 1981. Histoire générale de l'enseignement en France en 4 tomes. Nouvelle Livraire de France. (publié sous le patronage de l'Institut National de Recherche Pédagogique).
Une référence.

Françoise Mayeur. 1981. Histoire de l'enseignement en France tome 3 (de la révolution à l'école républicaine). Nouvelle Livraire de France. (réed. 2004, Perrin, Paris).
L'édition originale est un beau livre classique relié comprenant une riche iconographie N et B et en couleurs reproduisant peintures et gravures d'époque. La réédition format de poche en est dépourvue à part quelques cartes en N etB pas toujours lisibles. Dans les deux cas, le texte est une somme incontournable.

Antoine Prost. 1981. Histoire de l'enseignement en France tome 4 (depuis 1930). Nouvelle Livraire de France. (réed. 2004, Perrin, Paris).
L'ouvrage ne se limite pas à une multitude de données factuelles sur les changements du système éducatif, mais analyse cette évolution à travers celle parallèle de la société et de ses attentes.

Antoine Prost. 1968 (seconde édition). Histoire de l'enseignement en France 1800-1967. Armand Colin, Paris.
La conception modulaire de l'ouvrage restitue très bien la complexité de l'enseignement en France tiraillé entre contraintes matérielles, demande des citoyen.ne.s, et multiples désirs politiques divergents.

yvan_illich_1971_cover
Ivan Illich. 1971. Deschooling Society. Internet archive (1971. Une société sans école. Le Seuil). La traduction française n'est pas en libre accès mais vous trouverez quelques extraits ici.

Adresse de cette page: http://www.didac-tic.fr/emile/lycee/index.php