L'école coloniale
Le Lycée
  1. Emile ou de l'éducation
  2. Les enfants sauvages
  3. Bibliographie

Emile, reviens vite - ils sont devenus fous (Philippe Meirieu, Michel Develay)

Cette partie du site didac-TIC est consacrée à une réflexion sur l'école à partir une présentation de travaux de philosophes, de didacticiens et d'historiens.

La pédagogie, inclusive et émancipatrice, celle des méthodes dites actives peut trouver son origine chez Rousseau d'où le titre de cete page et de cette partie du site Didac-TIC.

Emile ou de l'éducation

Jean-Jacques Rousseau publie ce traité d'éducation en 1762, en parallèle avec Du Contrat social. Le livre reste l'un des plus populaires dans le domaine éducatif et sa lecture fait toujours partie de la formation des instituteurs... japonais.

Pour Rousseau l'enfant n'est pas un adulte en miniature, une idée qui sera considérablement développée par jean Piaget.

L'homme étant "bon" par nature, c'est en le préservant des (mauvaises) influences extérieures qu'on peut produire un citoyen autonome. Plus exactement, l'homme [sauvage] n'est n'est pas bon, mais vierge: «De même l’enfant livré à lui-même dans la nature (souvent, nous l’avons constaté, enfant naturel chez les romanciers) n’est ni bon ni méchant; il ignore le bien et le mal et vit dans une béate innocence, sans sentiment de culpabilité, comme Adam et Ève avant la faute.» L'Emile est une anthropologie politique permettant la transformation sociale (Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’inégalité, Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1971, t. II, p. 223.) .

Comme souvent chez Rousseau, la pensée est complexe et l'expression manie les paradoxes permettant parfois toutes les réutilisations. Rousseau utilisant abondamment le terme de nature (comme on le constate dans la citation précédente), il convient de s'interroger sur le sens ou les sens qu'il donne à cette notion d'autant plus que l'anthopologie moderne attribue souvent au "siècle des lumières" la généralisation de l'idée d'un dualisme entre nature et culture.

Dans notre société naturaliste (Philippe Descola, 2005), nous avons déjà différentes définitions de la nature:
- éléments biophysiques non humains d'un environnement, par opposition à la culture dont relève toute production anthropique;
- mais la culture peut se limiter à la représentation que nous nous faisons de nos interactions avec l'environnement.


Dans l'Emile, Rousseau donne peu d'exemples. La leçon en forêt en est d'autant plus célèbre. A une question d'Emile demandant à quoi sert l'orientation, Rousseau oppose une leçon en chambre dans laquelle Le maitre énumère les innombrables utilités de l’orientation. Cette leçon échoue parce qu'explique Rousseau, Emile aurait voulu qu’on lui montre à quoi sert de s’orienter, non qu’on le lui dise. L'alternative est une promenade, qui permet de perdre Emile et dans laquelle Rousseau feint d’être perdu lui-même.

«Supposons que, tandis que j’étudie avec mon élève le cours du soleil et la manière de s’orienter, tout à coup il m’interrompe pour me demander à quoi sert tout cela. Quel beau discours je vais lui faire ! de combien de choses je saisis l’occasion de l'instruire en répondant à sa question [...], surtout si nous avons des témoins de notre entretien. Je lui parlerai de l’utilité des voyages, des avantages du commerce, des productions particulières à chaque climat, des mœurs des différents peuples, de l’usage du calendrier, de la supputation du retour des saisons pour l’agriculture, de l’art de la navigation, de la manière de se conduire sur mer et de suivre exactement sa route, sans savoir où l'on est. La politique, l’histoire naturelle, l’astronomie, la morale même et le droit des gens entreront dans mon explication, de manière à donner à mon élève une grande idée de toutes ces sciences et un grand désir de les apprendre. Quand j’aurai tout dit, [...] Il [Emile] aurait grande envie de me demander comme auparavant à quoi sert de s’orienter; mais il n'ose, de peur que je me fâche. [...]

Le lendemain matin, je lui propose un tour de promenade avant le déjeuner; il ne demande pas mieux; pour courir, les enfants sont toujours prêts, et celui-ci a de bonnes jambes. Nous montons dans la forêt, nous parcourons les Champeaux, nous nous égarons, nous ne savons plus où nous sommes; et, quand il s’agit de revenir, nous ne pouvons plus retrouver notre chemin. [...]

Après quelques moments de silence, je lui dis d’un air inquiet : Mon cher Emile, comment ferons-nous pour sortir d’ici ?

Emile, en nage, et pleurant à chaudes larmes. Je n’en sais rien. Je suis las ; j’ai faim ; j’ai soif ; je n’en puis plus.

Jean-Jacques Me croyez-vous en meilleur état que vous ? et pensez-vous que je me fisse faute de pleurer, si je pouvais déjeuner de mes larmes ? Il ne s’agit pas de pleurer, il s’agit de se reconnaître. Voyons votre montre ; quelle heure est-il ?

Emile Il est midi, et je suis à jeun.

Jean-Jacques
Cela est vrai, il est midi, et je suis à jeun.

Emile Oh ! que vous devez avoir faim !

Jean-Jacques Le malheur est que mon dîner ne viendra pas me chercher ici. Il est midi : c’est justement l’heure où nous observions hier de Montmorency la position de la forêt. Si nous pouvions de même observer de la forêt la position de Montmorency !

Emile Oui ; mais hier nous voyions la forêt, et d’ici nous ne voyons pas la ville.

Jean-Jacques Voilà le mal… Si nous pouvions nous passer de la voir pour trouver sa position !

Emile O mon bon ami !

Jean-Jacques Ne disions-nous pas que la forêt était...

Emile Au nord de Montmorency.

Jean-Jacques Par conséquent Montmorency doit être...

Emile Au sud de la forêt.

Jean-Jacques Nous avons un moyen de trouver le nord à midi ?

Emile Oui, par la direction de l’ombre.

Jean-Jacques Mais le sud ?

Emile Comment faire ?

Jean-Jacques Le sud est l’opposé du nord.

Emile Cela est vrai ; il n’y a qu’à chercher l’opposé de l’ombre. Oh ! voilà le sud ! voilà le sud ! sûrement Montmorency est de ce côté.

Jean-Jacques Vous pouvez avoir raison : prenons ce sentier à travers le bois.

Emile, frappant des mains, et poussant un cri de joie. Ah ! je vois Montmorency ! le voilà tout devant nous, tout à découvert. Allons déjeuner, allons dîner, courons vite : l’astronomie est bonne à quelque chose.

Prenez garde que, s'il ne dit pas cette dernière phrase, il la pensera ; peu importe, pourvu que ce ne soit pas moi qui la dise. Or soyez sûr qu’il n’oubliera de sa vie la leçon de cette journée ; au lieu que, si je n’avais fait que lui supposer tout cela dans sa chambre, mon discours eût été oublié dès le lendemain. Il faut parler tant qu’on peut par les actions, et ne dire que ce qu'on ne saurait faire.»


Avec la leçon en forêt, Rousseau invente les méthodes actives, la classe dans la nature, la mise en situation (situation-problème)...

Cela fait déjà beaucoup, même si aujourd'hui on s'oppose le plus souvent à Rousseau sur sa vision individualiste de l'éducation.

Les enfants sauvages

L'histoire a enregistré une multitude de cas d'enfants ayant grandi hors de la société humaine pendant quelques unes des premières années de leur vie et adoptés par des animaux sauvages (Singes, Loups, etc.). Il existe aussi de nombreux mythes sur le même thème. Ces faits viennent en contrepoint des idées rousseauistes révélant la nécessité d'échanges avec d'autres humains pour qu'un enfant humain devienne humain. Malheureusement la documentation concernant ces exemples est dans le meilleur des cas très fragmentaire. Victor de l'Aveyron (1797), , Marie-Angélique le Blanc (1731), Pour Lev Vygotsky (Vygotsky, 1934), le développement intellectuel de l'enfant est fonction des groupes humains plutôt qu'un processus individuel.

Bibliographie

↑ Lev S. Vygotsky. 1934 (1962) Thought and Language. Cambridge Mass., MIT Press. (1985. Pensée et langage. Messidor, Ed. sociales).

↑ Philippe Descola. 2005 (2015). Par-delà nature et culture. Gallimard, Paris.

Filmographie

Radical long métrage de Christopher Zalla (sorti en salles au Mexique en 2023), avec Eugenio Derbez (l'un des acteurs les plus populaires au Mexique) dans le rôle principal (celui de l'instituteur), mais aussi investi en tant que producteur délégué.

Alors que les films (souvent sombres) sur l'école se multiplient ces derniers temps le Mexique nous offre cette comédie dramatique comme petite lueur d'espoir et comme un encouragement au combat. Radical est un film formidable, un grand film. Plus de détails sur le blog de Didac-TIC.

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