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Ecosytème
Petite histoire de l'écologie politique
Histoire des parcs nationaux
  1. Le nucléaire pour les nuls
  2. Étude de cas
    1. Thorium et sels fondus
    2. La filière française graphite-gaz (1956-1994)
    3. Superphénix et les réacteurs à caloporteur sodium fondu
    4. La catastrophe de Tchernobyl
    5. La catastrophe de Hiroshima
    6. L'EPR (European Pressurized Reactor)
  3. Pro et antinucléaires dans le monde

La production d'énergie est devenue un élément clé de l'écologie politique.

La production d'énergie nucléaire a toujours très discutée.

Historiquement lié au nucléaire militaire, le nucléaire civil a toujours été contesté par les pacifistes (et il l'est toujours même si la liaison entre civil et militaire est moins forte aujourd'hui).

Le nucléaire civil peut être contesté à deux niveaux:
- une contestation de fond parce ce mode de production d'énergie très concentré, générateur de risques importants d'accidents, très exposé au terrorisme, implique un état fort, lui même très centralisé et peu démocratique.
- une contestation ciblée qui analyse les différents choix techniques possibles et leur pertinence économique.

Paradoxalement on peut aller jusqu'à écrire que le nucléaire est incompatible avec le capitalisme libéral. Aucune des entreprises impliquées dans le secteur n'a de solidité financière suffisante pour supporter un accident majeur (ce qui s'est vu avec la nationalisation de l'entreprise japonaise Tepco après la catastrophe de Fukushima). Par ailleurs la pertinence économique du nucléaire (électricité moins chère que celle produite par d'autres modes de productions d'énergie) est une supercherie qui escamotte le coût de démantèlement des centrales et le coût du stockage des déchets (même si le stockage des déchets coûte peu par année, la multiplication des coûts par 100 000 ans donne le vertige... et ce genre d'estimation perd toute réalité).

Les lignes qui suivent analyseront en détail la contestation ciblée. Les défenseurs du nucléaire avancent le fait qu'il est proche de la neutralité dans le débat climatique (la production d'énergie à partir de combustibles fossiles doit être abandonnée). Ils soulignent aussi le fait que l'énergie nucléaire est disponible à la demande face à des énergies intermittentes et aléatoires (comme l'éolien et en moindre mesure le solaire); ce dernier argument ne résiste pas à l'examen des faits pour ce qui est des réacteurs actuels qui conviennent à une production énergétique de base et non à une production intermittente. La France est le plus souvent exportatrice d'électricité, mais importatrice lors de pics de demande (par exemple en cas de grand froid hivernal). Certains réacteurs du futur (les réacteurs à sels fondus) résoudraient sans doute ce problème (mais la justification économique d'un réacteur nucléaire, qui ne serait utilisé que par intermittence reste à prouver).

Le nucléaire civil est un sujet sensible et difficile, surtout en France où il est défendu par un lobby puissant. Faire face à une quantité phénoménale d'informations tronquées (donc en fait d'informations fausses qui tiennent plus de la propagande que de présentations scientifiques) suppose quelques connaissances scientifiques de base
.

Le nucléaire pour les nuls

Tout un chacun a entendu parler des atomes: la matière formant les objets qui nous entourent est constituée de petits grains que sont les atomes; les atomes sont souvent associés en molécules, mais sont eux même constitués de particules plus petites. En 1869 Mendeleïev a proposé un premier classement de ces atomes en éléments, en fonction de leurs propriétés chimiques. C'est Rutherford qui en 1911 à formalisé et apporté des arguments en faveur de l'existence du noyau atomique: Les atomes sont très largement constitués de vide avec au centre un noyau rassemblant presque toute la masse autour duquel gravitent de petites particules, les électrons. Deux types de particules constituent les noyaux des atomes, les neutrons et les protons. A l'exception de l'état ionique, le nombre de protons est égal au nombre d'électrons. Le tableau de Mendeleïev, remanié de nombreuses fois est organisé aujourd'hui en fonction des particules constituant les atomes, en particulier du nombre de protons qui constitue le numéro atomique et caractérise chacun des éléments chimiques. Le nombre de neutrons peut par contre varier (dans une certaine mesure) pour un même élément chimique. On nomme isotopes les variantes d'un élément qui diffèrent par leur nombre de neutrons.

Contrairement à la tradition grecque d'une matière immuable, reprise par la chimie classique et énoncée dans la formule de Lavoisier «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme» les éléments ne sont pas permanents et peuvent se transformer (ou plutôt se transmuter) les uns dans les autres dans les réactions nucléaires. Les éléments dont le noyau est constitué d'un grand nombre de protons et neutrons sont plus facilement instables (mais pas toujours) et peuvent perdre des particules et de l'énergie (c'est la radioactivité) ou carrément se couper plus ou moins en deux (c'est la fission).

La fission

Ce sont les réactions de fission qui permettent le fonctionnement des réacteurs nucléaires. La fission est la fragmentation du noyau d'un atome en deux (voire trois) noyaux plus petits. Elle est généralement déclenchée par l'absorption d'un neutron et s'accompagne elle même de l'émission de plusieurs neutrons.

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Fission de l'uranium 235; auteur: Mike Run; crédit wikimedia; CC by SA 4.0
La fission a été découverte en 1938 à Berlin par Otto Hahn, son jeune assistant Fritz Strassmann, avec la collaboration de l'autrichienne Lise Meitner (Lise Meitner était juive et fut obligée de fuir Berlin pour la Suède avant la réalisation de l'expérience cruciale), en bombardant par un flux de neutrons de l'235U (uranium 235). C'est Lise Meitner qui calcule l'énergie (phénoménale) dégagée par la réaction et en donne l'explication avec son neveu Otto Frish bien que la publication de la découverte ait été faite par Hahn et Strassmann.

La fission spontanée (sans absorption de neutron) a été mise en évidence par Gueorgui Fliorov et Konstantin Antonowitsch Petrschak sur l'238U (uranium 238) dans une station du métro de Moscou, située 60 m sous terre (seule façon de se prémunir des rayons cosmiques). 235U et 238U sont deux isotopes de l'uranium présents dans la nature.

Le but d'un réacteur nucléaire est de contrôler la fission, donc la réaction en chaine
Comme la fission s'accompagne de l'émission de neutrons, une réaction en chaine peut se déclencher si les atomes voisins d'un atome qui fissionne absorbent suffisamment de neutrons pour fissionner à leur tour. Si la réaction augmente de manière exponentielle, on est en présence d'une bombe. En la contrôlant, on obtient un réacteur nucléaire. On comprend immédiatement que contrôler une réaction en chaine est tout sauf évident. Dans la plupart des réacteurs, on introduit ou en enlève un matériau absorbant les neutrons au voisinage du combustible solide qui constitue le système de contrôle. Heureusement les neutrons produits par la fission ne sont pas tous produits au même moment, mais certains avec un délai de plusieurs secondes (neutrons retardés), ce qui permet de "piloter" le réacteur grâce au système de contrôle.

Surtout, on calcule l'ensemble pour qu'une intensification de la réaction de fission entraine un échauffement qui défavorise... la fission, au moins dans le domaine de fonctionnement normal du réacteur (à la base la réactivité décroit avec la température, mais il faut tenir compte des autres modifications que l'échauffement peut entrainer). Les réacteurs bien calculés sont donc stables de par leur conception, ce qui n'a pas empêché des accidents de fusion du combustible, car la chaleur produite par la radioactivité ne décroit que lentement quand la fission diminue ou s'arrête.

Les transmutations possibles déterminent des cycles du combustible
Peu d'éléments présents dans la nature sont capables de fissionner avec une probabilité exploitable. En pratique, il n'en existe qu'un l'235U (de plus cet isotope est toujours en mélange avec 238U, très largement dominant: 99,3% qui lui n'est pas fissile). Mais plus d'éléments fissiles peuvent être créés artificiellement. Les éléments fissiles constituent le combustible. On peut citer le 239P (plutonium 239) et l'233U (uranium 233). L'238U, se transforme en 239P après capture d'un neutron et plusieurs étapes de désintégration radioactive. Le 232Th (thorium 232, 4 fois plus abondant que l'uranium dans la nature) se transforme, après avoir absorbé un neutron et plusieurs désintégrations radioactives en 233U. Il "suffit" d'irradier l'isotope de départ non fissile dans un réacteur pour obtenir le combustible souhaité (pour information, on appelle fertiles ces isotopes capables de se transmuter en un isotope fissile). On parle de cycle du combustible pour décrire les étapes successives qui permettent d'exploiter un élément fissile ou fertile présent dans la nature.

Les réacteurs surgénérateurs produisent plus de combustible qu'ils n'en consomment
Grâce aux éléments fertiles, un réacteur utilisant le 239P ou l'233U peut produire plus de combustible qu'il en consomme, c'est un surgénérateur. Même sans cela le 239P produit dans les réacteurs à uranium naturel ou enrichi à partir de l'238U contribue à la fission et à l'énergie produite.

Dans la pratique, les choses sont un peu plus compliquées car d'autres transmutations sont possibles en même temps que celles citées, produisant d'autres isotopes qui même en faible proportion peuvent être gênants. D'autre part les trois isotopes fissiles cités ne sont pas équivalents:
- la transmutation 238U → 239P est plus difficile à obtenir que celle 232Th en 233U;
- la fission du 239P produisant moins de neutrons retardés rend le réacteur plus difficile à piloter que s'il utilise 233U ou 235U;
- la transmutation 238U → 239P produit 240P qui présente un taux de fission spontanée assez élevé (sa fission provoquée, par absorption d'un neutron, exige par contre des neutrons rapides); sa présence est indésirable dans le plutonium à usage militaire (inférieur à 7%) et ne doit pas dépasser 30% dans les réacteurs; elle s'élève avec le temps de séjour de l'238U dans le réacteur;
- la transmutation 232Th → 233U produit plus d'isotopes parasites (absorbant les neutrons et perturbant la réaction en chaine) que la transmutation 238U → 239P; de plus l'un des isotopes parasites produit, l'232U, présente une forte radioactivité γ (gamma) nécessitant des blindages donc compliquant sa manipulation.

Dans les réacteurs à 235U on continue à utiliser de l'uranium naturel (très pauvre comme on l'a vu en 235U) ou un uranium peu enrichi dont le taux d'235U ne dépasse pas 3 à 5% car l'enrichissement est très coûteux; en contrepartie, le combustible est renouvelé avant que le taux de 240P qui s'élève avec le temps ne devienne trop élevé (3 ans pour les réacteurs à eau pressurisée). Le 239P produit par irradiation de 238U contribue aux réactions de fission (1/3 pour les réacteurs à eau pressurisée) et son taux atteint environ 1% après 3 ans. Il est possible de retraiter ou non le combustible usagé pour compenser sa faible utilisation (quelques %). Dans le cas où ne pratique pas le retraitement, on laisse le combustible un peu plus longtemps, ce qui permet d'utiliser jusqu'à 6% des matériaux fissiles qui étaient présents dans le combustible neuf (exemple des réacteurs à eau pressurisée). Dans le cas du retraitement, on se contente d'un taux d'utilisation plus faible.

Les réacteurs actuels (à neutrons lents, cf ci-dessous) n'ont pas étés conçus pour utiliser le 239P et à peine 10% d'entre eux ont reçu l'autorisation de l'utiliser en faible proportion, associé à de l'uranium enrichi. La présence du plutonium favorise l'instabilité du réacteur. Dans la pratique on fabrique un mélange d'uranium appauvri (déchet de l'enrichissement de l'uranium naturel) pour 92% et de plutonium issu du retraitement du combustible nucléaire usagé. Ce mélange appelé Mox n'est plus fabriqué que dans quelques usines de retraitement au monde, la principale étant celle de La Hague, ce processus étant jugé non rentable par la plupart des opérateurs. Les réacteurs de Palo Verde (USA) et l'EPR 1 sont les seuls conçus pour fonctionner (éventuellement) en n'utilisant uniquement du Mox (une situation jamais expérimentée).

Dans les réacteurs visant à produire 233U à partir du thorium, l'apparition d'232U parasite s'explique le plus souvent par l'absorption d'un neutron par son précurseur, 233Pa (proactinium 233), avant sa désintégration radioactive (demi-vie de 27 jours). Une solution est d'isoler le proactinium et de le placer à l'écart du flux de neutrons; On cherche à enlever les isotopes parasites du coeur du réacteur par un retraitement en continu; comme cela n'est guère possible qu'en utilisant un combustible à l'état liquide, l'association est souvent faite entre thorium et réacteur à sels fondus, bien qu'elle ne soit pas obligatoire. Une autre solution est de faire en sorte que les isotopes absorbant les neutrons soient vers l'extérieur: le thorium n'est pas incorporé au combustible, mais placé en couverture.

Un réacteur nucléaire est une machine thermique
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Tours de refroidissement de la centrale nucléaire du Bugey, 2012; auteur: Tom A La Rue; crédit wikimedia; CC by SA 2.0
L'isotope utilisé prioritairement dans le réacteur n'est pas le seul déterminant des variantes possibles. Le point commun à tous les réacteurs est l'extrême concentration de la chaleur dégagée par la fission. La chaleur est transportée par un fluide (le caloporteur) et fait tourner une turbine.

Le coeur du réacteur constitue la source chaude; une source froide est nécessaire pour exploiter la différence de température. La source froide est très souvent l'eau, ce qui explique la localisation des centrales nucléaires près de la mer ou près des fleuves. Pour éviter de rejeter une eau trop chaude dans l'environnement, on peut utiliser des tours de refroidissement.

Le caloporteur ne doit pas trop absorber les neutrons, ce qui pénaliserait le fonctionnement du réacteur.

Le fluide le plus utilisé comme caloporteur aujourd'hui est assez banal: c'est l'eau ordinaire, à une pression relativement faible (réacteur à eau bouillante) ou sous pression plus élevée (réacteur à eau pressurisée). Dans les deux cas, et surtout le premier, la différence de température entre source chaude et froide est limitée et diminue le rendement de la machine thermique.

On utilise (ou on a utilisé) aussi les gaz (air, puis dioxyde de carbone pressurisé), en particulier en France (ou cette filière a été abandonnée en 1969 avec arrêt du dernier réacteur de ce type en 1994) et en Grande-Bretagne (ou 14 réacteurs sont toujours exploités par leur propriétaire actuel, EDF Energy). La température du gaz est élevée, voire très élevée.

Des métaux liquides sont ou ont étés utilisés, en particulier le sodium. Cette technologie délicate permet d'atteindre une température élevée pour la source chaude. Elle surtout été mise en oeuvre dans de petits réacteurs expérimentaux. La plupart sont arrêtés aujourd'hui et seuls quelques réacteurs sont encore en fonctionnement en Chine, en Inde et en Russie. Le choix du sodium est essentiellement lié à un type de réacteur particulier: le réacteur à neutrons rapides (ci-dessous). La Russie construit un réacteur rapide utilisant le plomb fondu comme caloporteur.

Une des possibilités peu exploitée, mais qui suscite un fort regain d'intérêt est l'utilisation de sels fondus (fluorures). Les sels fondus peuvent être utilisés simplement comme fluide caloporteur circulant autour d'un combustible à l'état solide, mais ils peuvent constituer aussi le combustible (fluorure d'uranium ou de plutonium). Ce type de réacteur est totalement différent des réacteurs à combustible solide.

Neutrons rapides et neutrons lents
Dès 1939 Hans Halban, Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin et Lew Kowarski découvraient que le nombre de fissions de l'oxyde d'uranium augmentait par immersion dans l'eau et que l'eau lourde absorbait moins de neutrons que l'eau ordinaire. Ils publient un article dans Nature expliquant la réaction en chaine ( Leó Szilárd et Enrico Fermi à New York font la même analyse quelques semaines plus tard). L'équipe parisienne sera dispersée par l'invasion allemande, une partie s'échappant en Angleterre avec la provision d'eau lourde, Joliot-Curie préférant rester en France.

On sait aujourd'hui que les neutrons émis par la réaction de fission sont émis à haute vitesse (de l'ordre de 20 000 km/s); ces neutrons sont dits rapides. Leur trajectoire est linéaire et la probabilité qu'un neutron rapide rencontre d'autres atomes est assez faible. En ralentissant ces neutrons jusqu'à descendre à une vitesse de l'ordre de 2 km/s on obtient des neutrons lents (aussi appelés neutrons thermiques) qui ont beaucoup plus de chance d'être capturés par des atomes pour déclencher de nouvelles fissions. Ce ralentissement, sans intérêt dans une bombe à fission est très largement exploité dans les réacteurs classiques. La plupart des réacteurs nucléaires existants sont des réacteurs à neutrons thermiques dans lesquels un modérateur (eau ordinaire, eau lourde ou graphite) ralenti les neutrons rapides issus de la fission. L'eau ordinaire ralenti les neutrons, mais à l'inconvénient de les absorber plus que l'eau lourde ou le graphite; il faut alors augmenter la densité du matériel fissile et enrichir l'uranium en 235U.

Le ralentissement des neutrons a un prix: si le nombre de fissions augmente globalement, lorsque la vitesse des neutrons décroit, la capacité d'un isotope à fissionner diminue avec la vitesse des neutrons (il faut distinguer la probabilité de la rencontre et la réactivité d'un isotope).

Dans un réacteur à neutrons rapides, les isotopes susceptibles de fissionner sont plus nombreux que dans un réacteur à neutrons lents (une subtilité essentielle). Le combustible nucléaire est mieux utilisé dans un réacteur à neutrons rapides et certains sous-produits constituant des déchets dans un réacteur classique peuvent être fissionnés dans un réacteur à neutrons rapides . Un réacteur à neutrons rapides produit moins donc moins de déchets et peut même éliminer une partie des déchets nucléaires produits dans un réacteur classique. Les réacteurs à neutrons rapides ne possèdent pas de modérateur.

En négatif, la concentration des éléments fissiles dans le combustible d'un réacteur à neutrons rapides doit être élevée pour compenser la probabilité plus faible de capture des neutrons. L'absence de modérateur et la concentration du combustible (dans la plupart des cas de répartition) diminuent la stabilité et augmentent les risques d'une réaction en chaine exponentielle et incontrôlée (excursion nucléaire).

La distinction entre neutrons rapides et neutrons lents est toutefois assez arbitraire et semble surtout justifiée par le comportement de l'238U qui est très peu absorbant des neutrons de vitesse moyenne.

Il est difficile de transmuter suffisamment d'238U en 239P dans un réacteur à neutrons thermiques pour qu'il devienne surgénérateur. Au contraire, le plutonium se prête particulièrement bien à une utilisation dans un réacteur à neutrons rapides, tous ses isotopes étant fissibles. En mélangeant de l'238U ou en le plaçant à la périphérie du réacteur, on transforme celui-ci en plutonium et le réacteur produit plus de plutonium qu'il n'en consomme.

232Th présente une capacité d'absorption des neutrons mieux répartie que 238U sur tout le spectre de vitesse. En exposant le 232Th à la périphérie d'un réacteur à neutrons thermiques, on arrive à produire plus de combustible qu'on en consomme. Il peut bien sûr être utilisé aussi dans un réacteur à neutrons rapides, même si le rendement est cette fois inférieur à celui obtenu avec le plutonium.

Les surgénérateurs seront donc des réacteurs utilisant le cycle du thorium ou des réacteurs à neutrons rapides (ou les deux !).

L'233U peut être utilisé dans un réacteur classique à neutrons lents. Le rendement est meilleur qu'avec l'235U.

Neutrons rapides. La Radioactivité.com.
Le Combustible nucléaire. Société française d'énergie nucléaire.

Une histoire peu lisible

Un grand nombre de variations possibles dont il ne reste pas grand chose aujourd'hui
Dans les débuts de l'industrie nucléaire la plupart des cycles de combustibles ont été explorés. Quasiment tous les modérateurs possibles ont été utilisés et une grande variété de fluides caloporteurs a été mise en œuvre. En croisant toutes ces options, il en est résulté de multiples variétés de réacteurs dont beaucoup ont disparu aujourd'hui. Les acteurs de l'énergie nucléaire ont tendance à affirmer qu'une "sélection naturelle" est intervenue, les types de réacteurs les plus utilisés aujourd'hui étant les meilleurs. En fait ces acteurs visent surtout à défendre des positions établies. La sélection passée a pu faire intervenir le hasard, des critères peu avouables (la compatibilité d'un type de réacteur avec le développement d'un arsenal militaire) et de toute façon, la hiérarchie des critères qu'on définit aujourd'hui est différente de celle des années cinquante et soixante. Par exemple, nous sommes bien plus préoccupés des questions de sécurité et de la gestion des déchets aujourd'hui qu'à l'époque.

Ainsi, le Forum International Génération 4 (Gen 4 International Forum ou GIF en anglais) vise à développer et promouvoir des systèmes nucléaires civils selon les critères:
- de durabilité (sustainability), que ce soit en termes de consommation de ressources ou de production de déchets,
- de performance économique par rapport aux autres énergies, ainsi que de maîtrise des risques financiers,
- de sûreté et de fiabilité,
- de résistance à la prolifération et aux menaces terroristes.

L'Inde a été exclue du groupe pour des questions politiques: absence de signature de traité de non prolifération des armes nucléaires (alors que c'est avec la Chine un des états les plus actifs dans le développement de réacteurs nucléaires). De plus la notion de générations successives de réacteurs semble essentiellement popularisée en France, ce qui, pour les antinucléaires, n'est qu'une sorte de tentative marketing visant à ressusciter de ses cendres le réacteur à sodium fondu de type Phénix que le CEA a échoué à faire fonctionner de manière efficace. La catastrophe de Fukushima à repoussé loin dans le temps presque toutes les options technologiques envisagées avant elle (cf p.9 du rapport Technology Roadmap update de 2014).
Technology Roadmap Update (pdf). Generation IV international forum.

Histoire française

Vous avez dit indépendance ?
Le Commissariat à l'énergie Atomique (CEA) est créé en 1945 par le général De Gaulle. A partir de 1955 et jusqu'en 1972 des réacteurs utilisant l'uranium naturel, modérés au graphite et utilisant le gaz carbonique comme caloporteur; le graphite est un modérateur beaucoup plus économique que l'eau lourde mais à l'inconvénient de s'enflammer au contact de l'air dans les conditions de température propres au fonctionnement du réacteur. Une motivation un peu cachée est de permettre facilement la production de plutonium à usage militaire, d'autant qu'à l'époque, seuls les Etats-Unis maitrisent l'enrichissement de l'uranium naturel. Une première usine de retraitement pour extraire le plutonium du combustible usagé est installée à Marcoule en 1958 et la première bombe atomique française explosera en 1961. Une usine d'enrichissement de l'uranium naturel (par diffusion gazeuse) est construite à Pierrelatte de 1964 à 1967, permettant la fabrication de bombes thermonucléaires; elle sera arrêtée en 1996, puis démantelée. Une centrale électrique à orientation civile est construite à Brennilis de 1962 à 1962. Il s'agit d'un réacteur utilisant de l'uranium faiblement enrichi, modéré à l'eau lourde, d'une puissance de 250 MW. En 1971 sous l'impulsion d'EDF le gouvernement choisi la filière à eau pressurisée dont les coûts de production seraient 20% plus faibles que ceux de la filière graphite-gaz.

Dans le même temps le CEA, puis son successeur la Cogema prospectent à la recherche de mines d'uranium, en France dans les années 50, dans les colonies ou anciennes colonies africaines ensuite.

Entre 1973 et 1975 le prix du baril de pétrole est multiplié par 4. En 1974 et 1975 le gouvernement décide (sans aucune concertation) la construction de 13 réacteurs de 1000 MW. Les réacteurs seront construits par Framatome qui a acheté la licence Westinghouse de réacteur à eau pressurisée et les turbines par Alsthom. Les débats sont vifs tant dans la communauté scientifique que dans l'industrie nucléaire naissante. Dans un article publié en 1974 par le revue Entreprise, on peut lire: «Il serait beaucoup plus sage de ne compter sur l'énergie nucléaire que comme un complément des autres sources d'énergie (et non l'inverse). Qu'il s'agisse des sources d'énergie classiques dont nous disposons encore (contrairement à ce que l'on croit) comme le charbon et l'hydraulique, ou qu'il s'agisse des sources d'énergie (dites) nouvelles comme l'énergie solaire ou la géothermie dont on aurait surement pu accélérer le développement (...) En 1974, nous aurons, en effet, dépensé en recherche et développement 1,15 milliard de francs dans l'énergie nucléaire, 12 millions dans l'énergie solaire, 7 millions dans la géothermie et... 1 million (en tout et pour tout) dans l'énergie du vent, des marées, et l'énergie thermique des mers.». Des chercheurs en économie demandent que soit engagée «une lutte contre le gaspillage énergétique (architecture, urbanisme, transports) et une diversification des sources d'énergie». Des universitaires soulignent que: «le problème des déchets est traité avec légèreté». En 1975 les syndicats CFDT d'EDF et du CNRS demandent un moratoire. Les tentatives d'ouverture de certains membres du gouvernement (livre jaune de Denis Baudoin) pour mener un débat sont censurées par le ministère de l'industrie.

54 réacteurs, d'une puissance cumulée de plus de 55 000 MW, sont construits dans les décennies 1970 et 1980, leur coût de construction total équivalant à plus de 65 milliards d'euros actuels.

L'usine d'enrichissement d'uranium par diffusion gazeuse du Tricastin est construite de 1974 à 1979 en association avec d'autres pays européens pour remplacer celle de Pierrelatte dans un cadre civil et s'affranchir de l'achat d'uranium enrichi à l'étranger (elle est remplacée depuis 2010 par une usine basée sur la centrifugation, gérée par Areva -renommée Orano-).

L'usine de la Hague est construite de 1962 à 1966, au départ pour un usage militaire (récupérer du plutonium), et supplée l'usine de Marcoule. Elle est reconvertie pour un usage civil dans les années 1970.

Dans les décennies 1960 et 1970 l'industrie nucléaire envisage un développement considérable du nucléaire et une pénurie d'uranium. D'où le projet des surgénérateurs à caloporteur sodium dont le combustible est le plutonium. Ce cycle du combustible impose le retraitement: le plutonium n'est plus extrait pour fabriquer des bombes, mais pour alimenter des surgénérateurs. Le plutonium peut aussi être utilisé en mélange, pour constituer un combustible, le Mox mélange de plutonium issu du retraitement du combustible usagé et d'uranium appauvri issu du processus d'enrichissement de l'uranium naturel (le tout sous forme d'oxydes). Le Mox peut être utilisé dans les surgénérateurs ou dans des réacteurs conçus spécialement ou dans les réacteurs à eau pressurisée classiques, mais en faible proportion du combustible normal. Mais la demande d'uranium fléchi et les surgénérateurs à caloporteur sodium sont un échec: SuperPhénix est arrêté en 1997.

L'usine de la Hague est alors conservée pour fabriquer le Mox, bien que la rentabilité du retraitement soit mise en question. Les seuls états ayant décidé de poursuivre le retraitement sont la France et la Russie.

Plus dure sera la chute
Dans les années 2000 les industries françaises de gestion du cycle nucléaire, en particulier la Cogéma et Framatome sont regroupées sous la bannière d'Areva qui devient le numéro un mondial du nucléaire et réalise des profits records. Et pourtant dès 1999 Siemens se retire du projet EPR mené avec Framatome pendant que la Cogema était accusée de pratiques discutables. Sous la direction d'Anne Lauvergeon, Areva est lancée dans un développement international très volontariste. Mais le contrat peu prudent signé pour la construction de l'EPR d'Olkiluoto (Finlande) dont la construction accuse en quelques années un retard considérable, l'affaire d'Uramin, les rivalités avec EDF, le ralentissement d'activité provoqué par la catastrophe de Fukushima mettent Areva en quasi faillite. En 2015 l'état apporte 10 milliards d'euros et impose le transfert des activités de construction de construction de réacteurs à EDF (et celle des petits réacteurs à une société qui reprend le nom de Technicatome).

En 2000 EDF met à l'étude un nouveau réacteur baptisé EPR 2, mais qui brade la sécurité conçue pour l'EPR (1). Le projet ne prend de consistance qu'en 2022.

En 2022 dans le contexte de la guerre en Ukraine et de fortes sanctions économiques envers la Russie, EDF confie par contrat le retraitement d'une partie du combustible usé à une filiale de Rosatom (Quang Pham pour France Télévisions, 08-12-2022).

En 2022 le pertinence économique du retraitement est à nouveau mise en question et cette fois par l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) prévient: L'usine de La Hague arrive en fin de vie et fonctionne de plus en plus mal: elle devrait produire 120 tonnes de Mox par an et n'en assure que la moitié. Par ailleurs les possibilités de stockage du plutonium et des déchets sont saturées. Soit il faut rénover La Hague si le retraitement est poursuivi, soit il faut mettre en place une procédure alternative de gestion des déchets (Reporterre, 2022).

Toujours en 2022 la découverte inattendue de problèmes de corrosion entraine l'arrêt de 12 réacteurs en plus de ceux arrêtés pour maintenance programmée. De nouveaux problèmes de corrosion sont découverts en 2023.

↑ 2022. L'ASN envisage l'abandon du retraitement des déchets nucléaires. Reporterre.

↑ 2022. La filière nucléaire française dépend en partie de Moscou pour le réenrichissement de son combustible. Franceinfo.
La France se débarrasse de déchets nucléaires en Russie. Reporterre.
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/nucleaire-une-premiere-en-10-ans-de-l-uranium-recycle-en-russie-arrive-en-france-pour-edf-943052.html

Etude de cas

Il conviendrait donc, dons le cas où on souhaiterait conserver une industrie nucléaire pour produire une partie de notre énergie, de remettre à plat les choix ou les non choix réalisés par le passé au vu de la sécurité, des déchets produits, du coût de construction et de déconstruction. C'est le but de cette revue d'exemples passés, d'analyses d'accidents et d'étude de projets pour le futur.

Thorium et sels fondus

Il peut sembler paradoxal de commencer cette revue par ce thème, car nulle part dans le monde le cycle thorium n'a été mis en place à l'échelle industrielle. Mais des réacteurs expérimentaux forts anciens ont fonctionné selon ce concept.

Des débuts menés par l'armée de l'air des Etats-Unis
Aircraft Reactor Experiment) a consisté à faire fonctionner un réacteur utilisant des fluorures d'uranium comme combustible, l'oxyde de beryllium comme modérateur, de l'hélium comme caloporteur secondaire. Le but était d'obtenir un réacteur très compact et un avion pouvant voler des semaines sans se ravitailler. Le réacteur fonctionnera (au sol) un millier d'heures en 1954, mais de graves problèmes de corrosion sont apparus dans l'enceinte métallique. Bien qu'un autre type de réacteur ait été placé sur un avion (sans le propulser, mais dans le but de tester la faisabilité des écrans de protection contre les radiations) ce projet de propulsion nucléaire sera (heureusement) abandonné.

Le Molten Salt Reactor Experiment est mis en place 10 ans plus tard à Oak Ridge (Etats-Unis) en utilisant un nouvel alliage; le réacteur est cette fois modéré au graphite; il fonctionnera 5 ans utilisant de l'235U à 30% au départ puis de l'233U et même un mélange 233U 239P (sous forme de fluorures); seule l'introduction de 232Th n'a pas été testée comme prévue.

Projet de retraitement en ligne
Dès 1969 un projet de surgénérateur à sel fondu est conçu, il a été arrêté quelques années plus tard sans voir un début de réalisation. Il reprenait le concept du MSRE associé à une unité de retraitement conçue pour traiter le volume total du sel en 12 jours. En 1973 le directeur du laboratoire national d'Oak Ridge est licencié par l'administration de Richard Nixon.

La transmutation 232Th→ 233U
Shippingport est considéré comme le premier réacteur à eau pressurisée. Ce n'est donc pas un réacteur à sels fondus. Trois changements de coeurs ont été réalisés au cours de son opération de 1957 à 1982. Ce qui nous intéresse ici est le troisième coeur est installé en 1977 avec un combustible constitué d'un mélange d'oxydes d'233U et de 232Th. La proportion d'uranium était plus élevée au centre et nulle à l'extérieur. A la fin de son fonctionnement le réacteur contenait plus d'233U qu'au départ validant la possibilité de la surgénération dans un réacteur (sous) modéré à l'eau.

Un petit réacteur expérimental du même type fonctionne toujours en Inde aujourd'hui, le réacteur Kamini (les indiens se vantent même de faire fonctionner le seul réacteur à 233U existant au monde).

Un réacteur utilisant un mélange 235U / 232Th a fonctionné en Allemagne de 1985 à 1989 (THTR-300 pour thorium high temperature reactor). Le graphite modérateur était intégré au combustible sous forme de boulets de 6cm de diamètre et le caloporteur était de l'hélium. La géométrie originale du combustible permet un fonctionnement en continu, le renouvellement du combustible étant assuré par la gravité. L'arrêt du réacteur a été provoqué par des surcoûts, la faillite de l'entreprise (privée) gestionnaire et un accident lié à un boulet coincé dans un conduit d'alimentation.

D'autre part la fission de l'233U produit moins de déchets (les transuraniens) du simple fait d'un plus petit nombre de neutrons dans l'atome de départ. La radiotoxicité de l'ensemble des déchets produits est considérée 10 à 100 fois plus faible (Global Chance, 1999).

L'abandon de la filière thorium surprend
L'idée que cela s'explique par son manque d’intérêt militaire a été développée par Carlo Rubbia. Elle repose sur le fait que la transmutation 232Th → 233U s'accompagne de la production d' isotopes parasites dont 232U. Mais le problème est contournable; une bombe à 233U a été testée par les Etats-Unis en 1955 et une autre par l'Inde en 1998. L'argument ressemble un peu à un excès de zèle des partisans de la filière thorium désireux de la faire apparaitre comme non proliférante. Plus probable est le fait que cette filière implique un retraitement du combustible usagé pour en récupérer l'233U et que les Etats-Unis ont décidé d'abandonner tout retraitement (à usage civil) en 1972.

Le triomphe de la marine sur l'armée de l'air (des Etats-Unis)
Dans les années où l'armée de l'air américaine travaillait sur des réacteurs utilisant un combustible liquide (fluorures d'uranium), la marine, elle s'intéressait au réacteur à eau pressurisée (pressurised water reactor ou PWR) pour son usage dans des sous-marins. Le combustible est de l'oxyde d'uranium enrichi (solide), le réacteur est modéré et refroidi par de l'eau ordinaire sous pression. Un prototype fonctionne dès 1953 et l'USS Nautilus est lancé en 1954. Les circonstances vont faire que les navires propulsés par ce type de réacteur vont se multiplier, tandis que l'armée de l'air abandonne ses projets. La société Westinghouse démarre le premier réacteur commercial à eau pressurisée en 1960.

Mais l'abandon de l'usage des sels fondus n'est pas fondé sur des choix scientifiques.

Le réacteur à neutrons rapides et à sels fondus de Grenoble (Molten Salt Fast Reactor)
En 2013 le CNRS de Grenoble a développé "sur le papier" un modèle de réacteur à neutrons rapides basé sur un combustible à sels fondus. Comme son prédécesseur ayant fonctionné à Oak Ridge dans les années 60, ce réacteur utilise pour combustible des fluorides d'235U ou d'233U (ce dernier issu de l'irradiation du thorium).

Bien que la filière présente de multiples avantages par rapport à la filière à eau pressurisée dont l'EPR, elle est actuellement peu soutenue en France, sans doute par crainte de faire apparaitre encore plus dangereux et obsolètes les réacteurs à eau pressurisée actuellement en service.

Avantages: absence de risque d'explosion de vapeur ou d'hydrogène; réacteur intrinsèquement stable (absence de risque d'emballement de la réaction de fission) d'où une grande souplesse de fonctionnement (arrêt et démarrage quasi immédiat alors que la préservation des crayons d'un réacteur à combustible solide impose des variations puissances limitées de 1 à 5% par minute) qui en fait un excellent complément d'énergies intermittentes comme le solaire ou l'éolien; réserves de thorium très abondantes (sans compter qu'un réacteur à neutrons rapide serait surgénérateur); utilisation presque complète du combustible et production réduite de déchets radioactifs (utilisation possible pour incinérer des déchets existants); retraitement du combustible en continu pendant le fonctionnement (absence de mise à l'arrêt pour rechargement); efficacité énergétique permise par la température élevée de fonctionnement (la présence d'eau comme source froide est facultative); possibilité de petits ou de grands réacteurs; coût de construction limité (Daniel Heuer, 2014).

Inconvénients: production de tritium (toxique); présence de béryllium (toxique) dans les sels fondus ; inconnue concernant la corrosion du circuit sur la durée; choix à définir pour le retraitement. Le risque d'incident industriel pendant le retraitement est présent même si la gravité n'est pas comparable à la pollution radioactive entrainée par la fusion d'un cœur de réacteur à eau pressurisée.

Ludovic Mathieu. 2005. Cycle Thorium et réacteurs à sel fondu. Institut National Polytechnique de Grenoble: 26-37 (HAL)
 Daniel Heuer & al.. 2007. Le Thorium Molten Salt Reactor. (pdf).
 Daniel Heuer. 2014. Le MSFR (Molten Salt Fast Reactor). CNRS (pdf).
 Daniel Heuer. 2016. Le MSFR (Molten Salt Fast Reactor). CNRS (pdf).

The dual fluid reactor (DFR) is a reactor concept of a private German research institute; le transfert de chaleur est assuré par du plomb fondu et non par le combustible constitué de chlorures de plutonium ou d'actinides.

La filière française graphite-gaz (1956-1994)

9 réacteurs ont été construits entre 1956 et 1972. Tous ces réacteurs sont aujourd'hui arrêtés, le dernier l'ayant été en 1994. Le combustible est de l'uranium naturel métallique, le modérateur le graphite et le fluide caloporteur le gaz dioxyde de carbone (de l'air pour les premiers réacteurs). L'architecture à été améliorée dans les détails au fil du temps; dans les derniers réacteurs construits le gaz est pressurisé à 43 atmosphères et sa température atteint 450°C.

Comme le graphite absorbe peu les neutrons, le réacteur se contente d'uranium naturel pour maintenir la réaction en chaine (le taux d'235U n'a pas besoin d'être augmenté par enrichissement, une technologie qui à l'époque n'est maitrisée qu'aux Etats-Unis (la Grande Bretagne développera sa propre filière de réacteurs graphite-gaz en même temps que la France et pour les mêmes raisons). L'uranium naturel contient 99,28% d'238U et seulement 0,72% d'235U, le seul fissile. Le graphite a été choisi de préférence à l'eau lourde pour des raisons économiques. Un réacteur "industriel" (qui succédait aux premiers réacteurs expérimentaux français) utilisant l'eau lourde comme modérateur à cependant été construit à Brennilis, en Bretagne où il a fonctionné de 1967 à 1985. Le graphite a le gros inconvénient de s'enflammer dans l'air et de se charger en radioactivité avec le temps (formation de 14C de demi vie de près de 6 000 ans).

Il n'y a qu'une seule enceinte de confinement (en béton sur les premiers réacteurs puis en acier sur les derniers) placée autour du "coeur" (combustible et graphite) et dans lequel circule le gaz caloporteur. Le gaz à haute température est corrosif pour les gaines de combustible et pour le graphite limitant la durée de vie du réacteur à une vingtaine d'années. Le démantèlement de ces réacteurs est en outre difficile avec à gérer un grand volume de graphite devenu radioactif (de fait EDF en a différé le démantèlement dans un futur très lointain).

La production de plutonium militaire est aussi importante que celle d'électricité
Le réacteur peut être chargé / déchargé en marche ce qui accroit sa disponibilité et facilite si besoin l'irradiation du combustible pour de faibles durées afin d'en tirer du plutonium de qualité militaire (238U → 239P). Si on laisse séjourner longtemps l'238U, il se forme aussi, par capture d'un neutron supplémentaire du 240P. Le 240P présente un taux de fission spontané élevé qui le rend impropre à un usage militaire (dans un réacteur à plutonium on peut accepter jusqu'à 30% de 240P, mais seulement 7% ou moins dans les armements). On voit ainsi que le nucléaire civil n'a jamais été indépendant du nucléaire militaire, surtout à son début (dans la plupart des pays nucléarisés, les stocks de plutonium militaire sont aujourd'hui largement supérieurs aux "besoins").

Une exploitation qui n'est pas dépourvue d'accidents
La première enceinte en acier (celle du 4e réacteur construit) se fissure avant la mise en service qui est retardée de 3 ans.

En 1980 un conduit de refroidissement est obstrué par un morceau de tôle provoquant un échauffement et la fusion d'une petite partie du combustible qui se répand au fond de l'enceinte. Ce combustible contenant du plutonium produit pendant le fonctionnement, il disperse une forte toxicité et radioactivité. Le dioxyde de carbone contaminé sera relâché dans l'atmosphère pour éviter une surpression, le nettoyage et la réparation du réacteur prendront 3 ans, exposant plusieurs centaines d'employés aux radiations et des rejets de plutonium supérieurs à la norme seront opérés dans la Loire pendant 5 ans (Le Point, 2011). Un incident du même type, à peine moins grave s'était déjà produit en 1969 sur un autre réacteur de la même centrale (Saint-Laurent des eaux). Ces accidents ont été dissimulés.

Heureusement aucun accident n'a mis en jeu le risque de combustion du graphite. On estime après coup que le risque d'un accident endommageant l'enceinte était peu probable. Un feu de graphite s'est produit en 1957 à Windscale dans un réacteur de conception beaucoup plus rudimentaire (ici la température nettement supérieure à 250°C du coeur protège en fait le graphite contre sa principale cause d'inflammation).

En Grande-Bretagne aussi
Une filière équivalente de réacteurs a été développée en Grande-Bretagne (Magnox) auxquels ont succédé des Advanced Gas-cooled Reactors dans lesquels le combustible est de l'oxyde d'uranium enfermé dans des gaines d'acier inoxydable. L'acier inoxydable absorbant une partie des neutrons, l'uranium doit être enrichi (environ 3%). Le dioxyde de carbone caloporteur atteint 640°C, procurant un bon rendement thermique. 14 réacteurs ont étés construits entre 1985 et 1988 et sont toujours en fonctionnement aujourd'hui.

Superphénix et les réacteurs à caloporteur sodium

Jusqu'à présent, très peu de réacteurs à neutrons rapides ont été construits dans le cours de l'histoire et tous utilisaient (ou utilisent) 239P comme combustible et le sodium fondu comme fluide caloporteur car ce fluide absorbe peu les neutrons.

En France, Superphénix a été précédé par un réacteur militaire, Rachel (sur lequel on sait peu de chose, démarrage en 1961) et par deux réacteurs expérimentaux, Rapsodie et Phénix. La France s'est intéressée à cette filière de réacteurs dans la crainte d'une pénurie d'uranium.

Au contraire les Etats-Unis ont développé très tôt de petits réacteurs à neutrons rapides (dès 1951), puis ont considéré dans les années 70 que ce type de réacteur n'était pas compétitif d'un point de vue économique et l'ont abandonné (Clinche River Projet). En cohérence, l'usine de retraitement de Lest Volley a été fermée en 1972.

Rapsodie fonctionnera de 1967 à 1983. Un accident s'est produit 11 ans après son arrêt: un réservoir annexe de sodium radioactif explose causant la mort d'un ingénieur et blessant quatre techniciens. Cet accident montre la dangerosité du sodium du fait de ses caractéristiques chimiques. La dangerosité persiste tant qu'il existe du sodium sur le site, c'est à dire tant que le réacteur n'est pas démantelé. Et en 2018, le démantèlement de Rapsodie n'a toujours pas commencé.

Phénix fonctionnera de 1973 à 2010 avec toutefois de nombreuses mises à l'arrêt
Le protocole normal de fonctionnement de Phénix impliquait déjà un arrêt tous les trois mois pour le rechargement du combustible, constitué de 4 200 kg d'un mélange d'oxyde de plutonium et d'uranium soit 930 kg de plutonium à 77% de 239P. Cette composition isotopique correspondait à peu près à celle du plutonium qu'on pouvait extraire du combustible usagé sortant des réacteurs de la filière graphite-gaz. Le combustible est entouré d'une couverture fertile en 238U. Le réacteur confirmera sa capacité à produire plus de plutonium qu'il en consomme. La composition du plutonium du coeur évolue peu, mais la couverture permet de récupérer du plutonium à presque 99% de 239P.

Le réfrigérant est du sodium fondu réparti dans la cuve principale constituant le circuit primaire (800 tonnes) et trois circuits secondaires (120 tonnes chacun). La cuve primaire est entourée de deux enceintes en acier sous atmosphère d'azote dont une est réfrigérée (circuit de secours) et d'une enceinte en béton. Un dispositif complexe (bouchon tournant et barillet) permet le chargement et le déchargement du combustible ou de matériaux à tester en présence de neutrons rapides. Le barillet contient 180 tonnes de sodium et constitue un tampon entre la cuve principale et l'extérieur.

Le sodium fondu est peu corrosif, toutefois les métaux constituant l'enveloppe soumis au flux de neutrons rapides subissent un vieillissement accéléré par rapport à ce qui se produit dans un réacteur classique.

Un réacteur potentiellement bien plus risqué que ses prédécesseurs
On a vu que le sodium était choisi pour sa capacité à transporter la chaleur, son faible coût, son inertie thermique et surtout son faible pouvoir absorbant des neutrons. Les risques liés au sodium solide sont cependant considérables: il réagit de façon explosive avec l'eau pouvant dégager de l'hydrogène inflammable. Le sodium liquide présente le même risque et peut en outre s'enflammer dans l'air (feu de sodium). Il peut réagir avec l'eau du béton. Avec le temps, le sodium du circuit primaire devient radioactif (sodium 22 de demi-vie 2,6 ans, tritium et césium 137 de demi-vie 30 ans). Le césium 137 donne du baryum 137 qui est un émetteur γ. Le sodium 24 (demi-vie de 15 heures) est produit aussi pendant le fonctionnement, il disparait rapidement mais est émetteur γ. On a déjà vu que l'absence de modérateur compromettait la stabilité du réacteur dans des situations anormales.

Il n'est pas possible d'exclure la disparition accidentelle du réfrigérant (sodium fondu du circuit primaire) qui rendrait le réacteur plus réactif. La réaction en chaine se poursuivrait alors jusqu'à ce que l'augmentation de la température et la dispersion de la matière fissile conduise à l'arrêt de la réaction en chaine. Même si une tel accident de criticité est très peu probable, il parait extrêmement difficile d'assurer dans ce cas le confinement de la radioactivité et d'éviter la mise en contact des vapeurs de sodium avec l'air. Ceci provoquerait un accident majeur. Un accident bien moins improbable serait la formation par échauffement d'une bulle de sodium gazeux suite à un contact entre combustible et sodium; l’exclusion critique ne peut être complètement éliminée même dans ce cas; si l'intégrité de la cuve primaire était touchée, on est ramené au cas précédent.

De nombreuses mises à l'arrêt vont réduire fortement la disponibilité de Phénix et sa puissance maximale
Des fuites de sodium dans un circuit secondaire suivies de feux de sodium se produisent à plusieurs reprises, mais les problèmes commencent surtout en 1989 avec des variations de réactivité inexpliquées qui déclenchent des arrêts d'urgence.

Le réacteur fonctionnera très peu les années suivantes et subit d'importants travaux de rénovation de 1994 à 1997, suite à la découverte du vieillissement de ses matériaux.

Il est à nouveau l'objet de travaux en 1999, pour mise en conformité aux normes sismiques, qui durent 4 ans.

Après l'arrêt du réacteur en 2010, le démantèlement a été différé; Il succède et s'inspire de celui de Superphénix. Comme à Creys-Maleville, un bâtiment spécial doit être construit à Marcoule pour se débarrasser du sodium radioactif. Il sera transformé en soude puis incorporé dans du béton. Son élimination totale est prévue pour 2027-2033...

Superphénix, le plus grand surgénérateur jamais construit
Ce réacteur représente une tentative pour développer une nouvelle filière française de réacteurs nucléaires, en association avec l'Allemagne et l'Italie. Conçu sur le même modèle que Phénix, Superphénix est six fois plus grand. Il contient 5 000 tonnes de sodium dans les circuits primaire et secondaires et 5 tonnes de plutonium 239. Le réacteur voit sa construction débuter à Crey-Malville en 1974, un an seulement après le démarrage de Phénix, ce qui ne permet pas de prendre en compte le retour d'expérience. La mise en service ne se fera qu'en janvier 1986 (couplage au réseau).

La plus contestée des centrales nucléaires françaises
La dangerosité de Superphénix suit la même logique que celle de Phénix, mais est accentuée par le gigantisme. Les risques d'une excursion nucléaire sont démultipliés. Personne ne sait comment éteindre un feu de sodium mettant en jeu les masses présentes. Il a été estimé (Science et Vie 703, avril 1976) qu'un accident majeur à Superphénix pouvait provoquer la mort de plus d'un million de personnes.

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Affiche, 1977; auteur: inconnu
 
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La Gueule ouverte, 1977 (cliquez sur l'image)
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Charlie Hebdo, 4 août 1977
 


De très nombreuses protestations accompagneront la construction et le fonctionnement de la centrale. En juillet 1977 une marche réunit 60 000 personnes (la plus importante manifestation du mouvement antinucléaire en France jusqu'à aujourd'hui). Des opposants venus de Suisse, d’Allemagne et d'Italie se joignent aux français. La répression violente de cette manifestation fait un mort et plusieurs centaines de blessés. En 1982 le chantier est attaqué au lance-roquettes par des militants suisses occasionnant des dégâts matériels.

L'effet Tchernobyl
Kalkar
La centrale nucléaire de Kalkar est devenue un parc d'attractions. Un résultat assez surréaliste; auteur et copyright: Jürgen Nefzger, 2005.
Le réacteur de Kalkar dont la construction a commencé en Allemagne un an avant celle de Superphénix était terminé en 1985; c'était un petit frère de Superphénix d'une puissance à peine supérieure à celle de Phénix (un autre réacteur plus puissant était projeté en Allemagne). En 1974 des inquiétudes provoquées par la catastrophe de Three Mile Island interrompent la construction pendant 4 ans. Puis des oppositions politiques retardent le démarrage prévu en 1985; la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, scelle son abandon: le réacteur ne sera jamais mis en service. Il aura coûté plus de 3 milliards d'euros. La construction du réacteur italien de Brasimone est arrêtée (en Italie deux référendums organisés en 1987 et 2011 ont conforté la forte opposition des italiens à la construction de toute centrale nucléaire).

Une succession d'accidents provoquent la mise à l'arrêt quasi permanente de Superphénix
En 1987, un an seulement après la mise en service, une fuite de sodium (20 tonnes !) se produit dans le barillet de chargement et déchargement du combustible, donc touchant le circuit primaire. Le barillet souffrant de fissuration est "adapté" à un nouveau mode de fonctionnement: il ne contiendra plus de sodium liquide. Ceci permet le redémarrage du réacteur en 1989 (sans expertise contradictoire) en attendant un remplacement futur du barillet. Des anomalies de fonctionnement de Phénix suscitent suffisamment de perplexité pour que Superphénix soit lui aussi arrêté de septembre 1989 à avril 1990. on découvre alors que plusieurs centaines de kg d'oxyde de sodium se sont formés à la suite d'une entrée d'air dans le circuit primaire. La même année le toit de la salle des turbines s'effondre sous le poids de 80cm de neige. Le réacteur est arrêté pendant 4 ans et ne redémarre en 1994 que sous couvert d'un changement de mission qui le transforme en réacteur de recherche (la production d'électricité devenant un objectif accessoire). Fin 1994 une fuite d'argon dans un échangeur de chaleur entre sodium primaire et sodium secondaire, donc situé dans l'enceinte du réacteur provoque un nouvel arrêt. L'année 1995 voit s'opposer les ministres de l'environnement et de l'industrie, mais l'année 1996 est la meilleure pour le fonctionnement du réacteur qui atteint 30% de sa puissance nominale sur une période prolongée.

Arrêt et bilan
La succession des incidents techniques, des manifestations d'opposants et des blocages juridiques conduisent à l'arrêt définitif du réacteur en 1997, 3 ans avant la fin de la convention entre EDF et les sociétés italiennes et allemandes participant au projet, obligeant EDF à des dédommagements. Il avait été calculé qu'une prolongation du fonctionnement au delà de 2001 resterait déficitaire, même avec un fonctionnement optimal du réacteur. Le coût de l'électricité était deux fois supérieur à celle produite par un réacteur à eau pressurisée (mais les calculs sont biaisés par la non prise en compte de la construction, du démantèlement, du stockage des déchets).

Ce réacteur à neutrons rapides utilisant le sodium fondu pour assurer l'échange de chaleur, aura pendant sa période de construction et de fonctionnement consommé plus d'électricité qu'il n'en aura jamais produit (la consommation pendant la période de démantèlement qui reste en cours n'est évidemment pas prise en compte). Selon un rapport de la Cour des comptes de 1997, Superphénix a coûté plus de 9 milliards d'euros (hors démantèlement). Au moins son démantèlement a été démarré plus vite que celui d'aucune autre centrale française, sans doute pour réduire les risques persistant même réacteur à l'arrêt et réduire les coûts d'entretien (il fallait par exemple chauffer à l'électricité le sodium pour éviter sa solidification). Le sodium est en voie d'être complètement neutralisé (2018), transformé en soude incorporée dans du béton (70 000 tonnes de blocs faiblement radioactifs). Mais 14 tonnes de plutonium sont toujours présentes sur le site.

Le réacteur japonais Monju est un réacteur comparable à Superphénix, mais 6 fois moins puissant. Mis en service en 1994, il a été arrêté en 2016 après seulement 250 heures de fonctionnement en 22 ans. Un an après sa mise en service une fuite de quelques centaines de kg de sodium provoque un incendie et l'arrêt pendant 5 ans. D'autres accidents non directement imputables au concept expliquent de nouveaux arrêts.

Au final il apparait clairement que les réacteurs à sodium fondu sont difficilement maitrisables dans leur fonctionnement ordinaire et extraordinairement risqués en cas d'accident. Pourtant un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium a propulsé un sous-marin américain, le USS Seawolf de 1957 à 1987. Un réacteur de puissance moyenne fonctionne toujours en Russie et deux autres sont en construction (mais l'un des deux utilise le plomb fondu comme caloporteur). La construction d'un réacteur de puissance moyenne a démarré en Chine en 2018. Un réacteur de moyenne puissance dont la construction a débuté en 2004 en Inde (Kalpakkam près de Madras) n'a toujours pas été mis en service (un réacteur de faible puissance y fonctionne de façon intermittente depuis 1985). Le projet de réacteur Astrid est proposé en France par le lobby nucléaire.

Références sur Phénix
www.asn.fr/sites/rapports-exploitants-ecs/CEA/CEA-centrale-phenix.pdf
Cette étude vise la sécurité du réacteur arrêté, avant qu'il ne soit complètement démantelé. L'étude donne quand même froid dans le dos. On mesure sans peine que le risque est bien plus élevé avec un réacteur en marche.

Le combustible pour réacteurs à neutrons rapides à métaux liquides. CEA (pdf)

Enquête publique relative à la demande d'autorisation de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement de l'installation nucléaire de base (INB) n° 71 "PHENIX" sur le site de Marcoule (Gard) . Préfecture du Gard.

Raymond Avrillier. Superphénix, l'expérimentation nucléaire en question. Université des Sciences Sociales de Grenoble.
Une historique de Super Phénix

Autres
Fast Breeder Reactor Technology. Governement of India / Department of Atomic Energy

Recycler ou ne pas recycler

(à écrire)

La catastrophe de Tchernobyl (1986)

Un réacteur instable
Le 26 avril 1986 le réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl (ou Chernobyl) situé en Ukraine, alors composante de l'URSS) explose. Il s'agit d'un réacteur à neutrons thermiques utilisant 235U comme combustible sous forme d'uranium naturel. L'eau est utilisée comme fluide caloporteur (elle se transforme en vapeur en traversant le coeur) mais il ne s'agit pas d'un réacteur à eau car le graphite est ajouté comme modérateur (ceci évite d'avoir à enrichir l'uranium.

Ces réacteurs sont économiques, peuvent être chargés / déchargés en fonctionnement (ce qui facilite la récupération de plutonium à usage militaire) et d'un bon rendement.

Leur gros inconvénient est d'être peu stables. Contrairement aux réacteurs à eau bouillante (cf Fukushima ci-dessous), la transformation de l'eau en vapeur dans le coeur ne diminue pas la réactivité parce que l'essentiel de la modération est assurée par le graphite. Ces réacteurs sont donc difficiles à piloter.

Les derniers jours de Pripyat, ville de 50 000 habitants
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Tchernobyl, dernier jour de Pripyat; huile sur toile; auteur: Alex Akindinov, 2014; crédit wikimedia; CC by SA 4.0

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Tchernobyl, le réacteur 4 peu après la catastrophe; crédit USFCRFC; IAEA; CC by SA 2.0
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L'explosion est due à la vaporisation brutale de l'eau du circuit d'échange de chaleur (ou à une décomposition de cette eau en hydrogène et oxygène, puis à leur recombinaison explosive), cet événement lui même provoqué par plusieurs erreurs humaines commises lors d'un essai de pilotage, qui conduisent à un échauffement anormal du coeur du réacteur. Les dispositifs de contrôle se déforment et deviennent inopérants. Le couvercle en béton de 1 200 tonnes est soulevé par l'explosion et retombe sur le coeur qui se fracture (en fait deux explosions successives se sont produites et il n'est pas impossible que la seconde soit due à la formation d'une masse critique dans une partie du coeur du réacteur). Le graphite, n'est plus protégé du contact de l'air et s'enflamme.

Pendant près de quinze jours, des sacs de sable et de plomb (etc.) sont projetés par hélicoptère pour éteindre l'incendie de graphite et ralentir la réaction de fission. Un tunnel est creusé par des mineurs sous la dalle de béton du réacteur dans le but de stopper la descente du coeur fondu (on s’apercevra deux ans plus tard que le coeur fondu s'est étalé dans la "piscine" -heureusement vidée de son eau- 20m sous le réacteur puis solidifié le 6 mai).

L'explosion et l'incendie provoquent une contamination radioactive considérable et essentiellement aérienne. Les retombées les plus importantes sont évidemment au voisinage de la centrale, mais un panache radioactif se développe jusqu'à 2000 m d'altitude et est repéré par la Suède le 28 avril (l'accident est caché par l'URSS jusqu'à cette détection); le 29 avril le panache atteint la France; les retombées sont très variables et dépendent des pluies. Les autorités officielles prétendant la France préservée, un collectif dont fait partie Michèle Rivasi collecte des échantillons (au départ dans la Drôme), les analyse et dénonce le mensonge, créant le CRIRAD.

La difficile mise en œuvre de la glasnost (politique de transparence)
Un mois avant la catastrophe le 27e congrès du Parti communiste, sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev avait décidé (avec beaucoup d'oppositions) des réformes profondes, un délai sans doute bien insuffisant pour éviter l’opacité qui a accompagné la catastrophe. Le 27 avril les 50 000 habitants de la ville de Prypiat à 3 km de Tchernobyl sont évacués. Les évacuations se poursuivront jusqu'en août dans un rayon d'une trentaine de km autour de la centrale, touchant plus de 250 000 personnes

Des centaines de milliers d'ouvriers (nommés les liquidateurs) se relaient pour regrouper les débris les plus radioactifs et nettoyer la zone contaminée. Des robots sont aussi utilisés qui tombent rapidement en panne sous l'effet des radiations. Une structure, le "sarcophage" est construite pour recouvrir le réacteur éventré; elle est terminée en octobre. Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev, président d'une Union soviétique totalement décomposée, démissionne et l'Ukraine hérite de Tchernobyl.

Le 26 novembre 2016, un dôme en acier financé par des fonds européens et construit par deux sociétés françaises est mis en place sur le réacteur endommagé et son "sarcophage". Il est censé assurer sa fonction de confinement pendant au moins 100 ans.

Le lobby nucléaire a insisté sur les erreurs humaines à l'origine de la catastrophe et la dangerosité particulière du type de réacteur en jeu, refusant de généraliser le risque d'accident à d'autres types de réacteurs; pourtant, il s'en est suivi une stagnation immédiate du nombre de réacteurs nucléaires en service dans le monde. 30 ans après, les conséquences humaines et financières de la catastrophe restent très discutées: de 4000 à 100 000 morts (l'Express, 2016), mais il est désormais possible de visiter les lieux.

Historical Chernobyl. Historical collections of the Chernobyl accident from the Ukrainian Society for Friendship and Cultural Relations with Foreign Countries (USFCRFC).

Photographies d'Igor Kostin.

Bal Raj Sehgal. 2006. Light water reactor (LWR) safety.

 Corinne Castanier. 2002. Contamination des sols francais par les retombées de l'accident de Tchernobyl. CRIRAD (pdf).

La catastrophe de Fukushima

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Dommages causés par le séisme et le tsunami à la centrale Dai Ichi, 16 mars 2011; © Digital Globe, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.
Le 11 mars 2011 un tsunami (vague de 15m) suivant un séisme de très forte intensité met hors service le système d'échange de chaleur des réacteurs 1 à 3 de la centrale de Fukushima au Japon. Le réacteur 4 à l'arrêt pour maintenance est touché aussi; les réacteurs 5 et 6, à l'arrêt pour la même raison et plus en hauteur échappent au tsunami.

Le séisme conduit à la "mise à l'arrêt" automatique des réacteurs 1 à 3, grâce au systèmes de sécurité; néanmoins, même en l'absence de réaction de fission, la radioactivité résiliente (due aux produits de fission accumulés avant l'arrêt) produit de la chaleur en quantité considérable qu'il faut continuer à évacuer (pendant quelques jours). Les réacteurs sont tous des réacteurs à eau bouillante, l'eau entrainée par des pompes assurant l'échange de chaleur avec l'extérieur. Hors la connexion électrique de la centrale avec l'extérieur est interrompue par le séisme et le système d'alimentation de secours se trouve contrôlé par des dispositifs situés dans des zones basses touchées par le tsunami. En absence d'alimentation électrique, les dispositifs de refroidissement des réacteurs se retrouvent hors service. Le réacteur 1 disposait d'un système de secours passif utilisant un condenseur, mais qui n'a pas fonctionné, semble t-il en raison d'erreurs humaines et du mauvais positionnement initial de certaines vannes. La perte du refroidissement se trouve aussi préoccupante pour la piscine du réacteur 4 fortement chargée en barres de combustible usagé.

Bien que ces faits n'aient pas été reconnus immédiatement par l'exploitant et encore moins diffusés à la population, l'eau des circuits de refroidissement s'est rapidement vaporisée et le coeur des réacteurs 1 à 3 a atteint plus de 2500 °C entrant totalement en fusion pour le réacteur 1 et en proportion inconnue pour les réacteurs 2 et 3. Dans ces réacteurs à uranium enrichi le mélange (corium) issu de la fusion s'est accumulé au fond de l'enceinte en acier et l'a percée (quelques heures après le séisme pour le réacteur 1 et plusieurs dizaines d'heures plus tard pour les deux autres). Dès le lendemain du tsunami, l'exploitant a cherché à empêcher cette fusion en déversant de l'eau (de mer!) dans les réacteurs; cette eau n'a pu être confinée dans les bassins prévus et est retournée à l'océan dès début avril occasionnant une très importante pollution.

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Dommages causés par le séisme et le tsunami à la centrale Dai Ichi, 20 mars 2011; © Air Photo Service.
Pour éviter des surpressions, l’exploitant a également procédé à l'ouverture volontaire de soupapes sur les circuits de refroidissement, provoquant une pollution aérienne. En même temps des explosions se produisent, dues semble t-il à l'accumulation d'hydrogène produit par l'échauffement. Le 12 mars, la partie supérieure du bâtiment du réacteur 1 est détruite par une explosion, puis c'est le tour du réacteur 3 le 14. Un incendie se déclenche le 15 au dessus de la piscine du réacteur 4. Tous ces événements entrainent une importante pollution radioactive dans l’atmosphère. Une semaine plus tard ,une alimentation électrique des pompes est rétablie progressivement permettant un meilleur refroidissement; néanmoins plusieurs centaines de tonnes d'eau radioactives sont produites chaque jour, d'abord stockées dans des réservoirs, puis décontaminées sur place. Malgré ces efforts de récupération, on s’aperçoit en 2013 que des circulations d'eau souterraines entrainent en permanence une pollution radioactive de l'océan. Une tentative de congélation du sol sous les réacteurs se révélera inopérante.

150 000 personnes ont été évacuées (auxquelles s'ajoutent 300 000 autres hors Fukushima en raison du tsunami).

Le prévisible imprévu
Les faiblesses de la centrale de Fukushima (comme la hauteur trop basse du mur de protection contre les tsunamis) avaient été soulignés avant même la catastrophe; ainsi, la centrale d'Onagawa, pourtant plus proche de l'épicentre, mais mieux conçue, a subit des dégâts plus limités (elle est heureusement située à une quinzaine de mètres au dessus du niveau de la mer). Les études historiques montrent cependant que des tsunamis encore plus violents sont connus dans un passé qui n'est pas si lointain (le séisme de Sanriku, en 1896 à provoqué des vagues de 30 m, soit deux fois la hauteur du tsunami de 2011; en 1771 un tsunami anéantissait les 10 000 habitants des iles Yaeyama, par des vagues de plus de 30 m et peut-être même de plus de 80 m). Je n'ai pas pu trouver l'altitude des différentes centrales japonaises, mais la plupart ne sont pas conçues pour résister à des tsunamis de cette ampleur, pourtant historiques.

Même dans un pays développé comme le Japon, le comportement des lobbys et les contraintes économiques conduisent à une sous estimation des risques et à un niveau de sécurité insuffisant.

Le Japon plus opaque que l'URSS
En 2014 une loi faite sur mesure interdit les enquêtes et rapports indépendants concernant les "secrets d'état" (dont la catastrophe de Fukushima fait évidemment partie).

Six ans après la catastrophe, la localisation exacte du corium issu des coeurs fondus des réacteurs 1 à 3 reste inconnue (début 2017, un robot envoyé pour explorer la cuve du réacteur 2 a été détruit par le rayonnement); la pollution de l'océan par les matériaux radioactifs libérés par ces trois réacteurs persiste et la situation n'est toujours pas sous contrôle.

Cette catastrophe à conduit différents pays à des réponses très différentes: refus de l'énergie nucléaire (Autriche, Italie), abandon plus ou moins rapide (Allemagne, Suisse), poursuite d'un programme de construction de centrales tout en développant les énergies renouvelables (Chine, Inde, etc.)

Fukushima Daiichi Nuclear Plant Hi-Res Photos. Cryptome.

Pierre Fetet. Fukushima. Un blog consacré entièrement à la catastrophe nucléaire de Fukushima et à ses répercussions au Japon et dans le monde.

L'EPR

né sous une mauvaise étoile ?
En 1989, 3 ans après la catastrophe de Tchernobyl, Un accord est signé entre Framatome et Siemens pour développer un projet commun, (le projet ne devient réellement commun que 3 ans plus tard avec l'EPR -European Pressurized Reactor-).

Le contexte politique européen n'est pas très favorable et l'Allemagne abandonne le développement du nucléaire civil en 2001, ce qui entraine le retrait de Siemens; officiellement l'European Pressurized Reactor devient l'Evolutionary Power Reactor.

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Ce qui devait arriver AREVA; crédit EZK Street art.
En 2001 les entreprises françaises issues du CEA dont Framatome et la Cogema fusionnent sous le nom d'Areva. Anne Lauvergeon PDG de la Cogema en prend la tête et le nom est inspiré du village espagnol d'Arévalo et de son abbaye cistercienne. Areva restera pendant deux décennies leader mondial du nucléaire et de l'énergie, réalisant des profits record.

Et pourtant l'évolution du projet EPR va présenter sur quatre sites mondiaux (Olkiluoto, Flamanville, Taishan, Hinkley Point C), une histoire chaotique et rocambolesque.

Olkiluoto, 2003: Areva est lancée dans un développement international très volontariste. Dans un contexte de concurrence avec EDF, mais encore associé à Siemens, Areva signe un contrat avec l'électricien finlandais TVO pour la construction d'un EPR à Olkiluoto. Le contrat, peu prudent, prévoit un coût de 3 milliards d'euros et une livraison en 2008.

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Coupe de la cuve de l'EPR; © EDF.
La machine, basée sur le projet du début des années 1990 est un réacteur de grande puissance: 1 666 MW électriques (la plus élevée au monde), prévu pour fonctionner 60 ans avec une grande sécurité.

Il souffre pourtant d'au moins un défaut congénital dont on ne prendra conscience que plus tard: l'architecture du fond de cuve entraine des vibrations du flux hydraulique elles mêmes à l'origine de fluctuation du flux de neutrons (cette architecture est inspirée des réacteurs allemand Konvoi qui présentent le même défaut) (Labrousse, 2024 p.22).

L'EPR est susceptible d'être alimenté uniquement en Mox. Dans ce cas l'EPR consomme effectivement une partie du plutonium introduit comme combustible mais produit finalement plus d'actinides. Ces déchets non retraitables en l'état actuel de la technologie sont plus difficiles à stocker que les déchets classiques (ils dégagent plus de chaleur, etc...). Le Mox et l'EPR ne sont pas une solution pour réduire les déchets.

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La centrale nucléaire de Flamanville en 2006 et simulation de Flamenville 3 (EPR); © CC by SA, crédit Wikimedia.
Flamanville, 2007: Le gouvernement français désormais dirigé par la droite donne l'autorisation d'installer un EPR à Flamanville et pour un démarrage immédiat de ce chantier. La centrale nucléaire de Flamanville est aménagée en 1978 à une époque où on n'avait que peu de conscience de l'évolution future du niveau de la mer et sur l'emplacement d'une ancienne mine de fer; elle est située à seulement 13 m d'altitude, 5 m au dessus de la cote majorée de sécurité (niveau des plus hautes mers). La mise en service de l'EPR est prévue en 2012 et son coût estimé à 3,3 milliards d'euros.

Taishan, 2007: Areva et l'électricien chinois CGNPC (China Guangdong Nuclear Power Company) annoncent la signature d'un contrat pour la construction de deux EPR à Taishan.

En 2007, l'acquisition par Areva de la société canadienne Uramin se révèle un mauvais choix technique (certaines des mines africaines de la société sont inexploitables) et un désastre financier en raison de la baisse des cours de bourse après l'achat; de plus cette acquisition est associée à de multiples affaires de corruption (qui ne seront pas vraiment élucidées). En juin 2011 Nicolas Sarkozy qui a toujours détesté Anne Lauvergeon refuse de la reconduire à la tête d'Areva dans un contexte de rivalité avec EDF.

En novembre 2011 un contrat "secret" est signé entre EDF (dirigé par Henri Proglio) et CGNPC. Le comité de groupe européen d'Areva s'inquiète le 20 novembre 2012 de cet accord qui concurrence Areva et met en danger la propriété intellectuelle d'Areva. A l'époque, certains imaginent que la Chine va construire 200 réacteurs nucléaires et pourtant la catastrophe de Fukushima de mars 2011 est un coup de grâce qui met Areva en quasi faillite. En 2015 l'état apporte 10 milliards d'euros et impose le transfert des activités de construction de réacteurs à EDF (et celle des petits réacteurs à une société qui reprend le nom de Technicatome).

Flamanville, 2012: entre des défauts détectés sur la dalle de béton du bâtiment réacteur (2008) qui obligent à des renforcements, des études de sécurité décidées par l'Autorité de sûreté nucléaire après la catastrophe de Fukushima (2011) la mise en service est repoussée à 2016 et le coût réévalué à 6 milliards d'euros Olkiluoto, 2012: le système de contrôle du réacteur d'Olkiluoto se révèle insuffisant et doit être repris.

Le 17 décembre 2012, Maureen Kearney, une syndicaliste secrétaire du comité de groupe européen d'Areva, est retrouvée, "bâillonnée et ligotée" sur une chaise, un bonnet sur les yeux, un "A" gravé sur son ventre et le manche d'un couteau de cuisine enfoncé dans le vagin (La syndicaliste, 2023). L'affaire, malheureusement classée sans suite, en rappelle une autre: en juin 2006, la femme d'un cadre de Veolia en conflit ouvert avec le PDG de l'époque, Henri Proglio, est retrouvée violée et tailladée au ventre à son domicile... (Le livre de l'enquête: Caroline Michel-Aguirre, 2019; le film: Jean-Paul Salomé, 2023).

Hinkley Point, 2012: un accord est signé entre Areva, Rolls-Royce et EDF Energy (filiale anglaise d'EDF) pour la construction de 2 EPR livrés en 2017; quelques mois plus tard la date de livraison est repoussée de 4 ans.

Hinkley Point, 2014: l'accord est validé par la Commission Européenne; l'investissement impliquant deux partenaires chinois est estimé à 20 milliards d'euros et la date de livraison repoussée à 2023.

Olkiluoto, 2014: la mise en service esr repoussée à 2018 ce qui représente 10 ans de retrad. Areva est contraint à verser des indemnités à TVO.

Flamanville, 2015: alors que le chantier a déjà subit une multitude de retards, l'ASN annonce que la cuve et son couvercle présentent des défauts de conformité; la presse évoque de possibles falsifications des dossiers de fabrication. Contrairement aux cuves des réacteurs de Olkiluoto et de Taishan, celle de Flamanville provient essentiellement du Creusot. L'ASN valide finalement la cuve, mais imposera le remplacement du couvercle au plus tard en 2024, délai estimé pour en fabriquer un nouveau. Le coût passe à 9 milliards.

Hinkley Point, 2014: après une suspension des travaux, un nouvel accord de financement est signé pour un budget qui monte à 25 milliards d'euros. En 2016 le directeur financier d'EDF démissionne et qualifie le projet de "financièrement suicidaire".

Flamanville, 2017: des défauts sont repérés sur plusieurs dizaines de soudures du circuit secondaire de refroidissement qui doivent être réparées, ce qui ne sera terminé qu'en 2023.

Hinkley Point, 2018: les premiers bétons du chantier du premier réacteur sont coulés, suivis par ceux du second un an plus tard.

Flamanville, 2019: on découvre que le système de commande du réacteur ne fonctionne pas.

Taishan, 2018: le réacteur de Taischan 1 démarre son service commercial, après 2 ans de retard sur le calendrier prévu (8 ans au lieu de 6), mais est mis à l'arrêt 3 ans plus tard en raison de contaminations radioactives du circuit primaire de refroidissement. Les crayons de combustibles à l'origine des fuites radioactives subiraient une usure prématurée due à des vibrations elles-mêmes dues aux vibrations du flux hydraulique ou (selon EDF) à une mauvaise fixation.

Taishan, 2019: le réacteur de Taischan 2 démarre son service commercial, après, comme pour son jumeau, 2 ans de retard.

Flamanville, 2020: dans un rapport publié le 9 juillet, la cour des comptes pointe l'incapacité de la filière nucléaire française à assurer le suivi des opérations liées à la construction de l'EPR de Flamanville et le développement international hasardeux. Surtout, elle estime le coût à 19 milliards d'euros, bien plus que les estimations d'EDF à 12 milliards, impliquant un prix de revient du kWh considérablement plus élevé que celui des anciennes centrales nucléaires française et des énergies renouvelables toutes sources confondues.

L'ancien PDG d'EDF, Henri Proglio qui a toujours détesté Anne Lauvergeon résume son opposition par la phrase "l'EPR est un engin beaucoup trop compliqué, quasi inconstructible" (Mais c'est EDF quia signé pour la construction des EPR d'Hinkley Point).

Olkiluoto, 2021: le réacteur démarre pour essais en décembre 2021, mais est rapidement arrêté en raison de dysfonctionnements sur la turbine à vapeur produite par Siemens. Fin 2022 la découverte de fissures sur les rotors des quatre pompes d'alimentation des générateurs de vapeur conduit à un nouveau report du démarrage commercial.

Flamanville, 2022: EDF annonce le report du démarrage de l'EPR de Flamanville au printemps 2024. La facture s'élève désormais (selon EDF) à 13,2 milliards d'euros.

Olkiluoto, 2023: le réacteur démarre son service commercial, le coût final de la construction est évalué à 11 milliards d'euro, 3 fois l'estimation initiale; le chantier aura pris 4 fois plus de temps, ruinant Areva et l'électricien TVO.

Flamanville, 2024: le 7 mai, l'ASN autorise la mise en service de l'EPR; les assemblages de combustibles devraient être chargés dans le réacteur et la connexion au réseau électrique réalisée dans le courant de l’été. Les premiers mégawatts seront alors injectés sur le réseau électrique (c’est de la "production supplémentaire" jusqu'en 2027). La puissance maximale du réacteur serait atteinte fin 2024 et le premier arrêt pour maintenance est programmé fin 2025, après un cycle. Le réacteur sera rechargé et c’est à ce moment que se fera le changement de couvercle de la cuve. Un choix incompréhensible puisque le couvercle ancien sera devenu radioactif, ce qui complique tout...

Les premières fissions (divergence) se produisent le 3 septembre mais le système de sécurité arrête le réacteur à peine 24 heures plus tard en raison d'une "mauvaise configuration" de ce système. Depuis le réacteur à redémarré et devra atteindre 25% de sa puissance pour être couplé au réseau, ce qu'EDF réussit à réaliser le 20 décembre 2024.

Hinkley Point, 2024: le démarrage du premier réacteur est repoussé à 2030 (±1 an); le coût estimé passe à plus de 30 milliards de livres, mais EDF prétend le projet toujours rentable.

Les retards rencontrés dans la construction des EPR, l'augmentation du coût de construction et les problèmes rencontrés dans leur fonctionnement poussent EDF à proposer l'EPR 2, une nouvelle version dans laquelle la sécurité est allégée: enceinte de béton simple, récupérateur de corium modifié, réduction du nombre des échangeurs de chaleur de 4 à 3. L'EPR 2 n'est plus capable d'accepter le Mox comme combustible unique, et ne peut être rechargé sans mise à l'arrêt. En contrepartie EDF affiche l'ambition, en modifiant entre autres la disposition de ce combustible, d'obtenir à terme (2040 ?) un réacteur dont la puissance peut varier rapidement pour s'adapter aux besoins (de complément aux énergies renouvelables), donc un réacteur réellement "pilotable" (ce qui constitue l'aveu du fait qu'il n'existe pas en 2023 de réacteur nucléaire pilotable).

La rentabilité économique de cette filière de réacteurs est de plus en plus contestée. D'autant que sur ce point la technologie française est peu compétitive. Russes, indiens, coréens et, dans une moindre mesure, chinois ont désormais une maitrise suffisante pour produire des réacteurs moins chers.

Certains commentateurs expliquent l'irréalisme des prévisions par la concurence entre EDF et Areva. Mais aujourd'hui l'évaluation de l'EPR 2 présente la même erreur: le choix de construire ce type de réacteur est politique plus qu'économique: «Les chiffres donnés aujourd'hui sur le coût projeté pour six nouveaux EPR 2 sont tellement éloignés d'une analyse réaliste de la situation que l'on peut largement douter de leur sincérité.» (Yves Marignac, négaWatt).

↑ Yves Marignac. 2016. The Case of the French EPR. WISE.

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Caroline Michel-Aguirre. 2019. La syndicaliste. Plon.
Le récit d'une enquête minutieuse qui nous plonge au coeur d’une terrifiante histoire de pouvoir, politique, industrielle, mais avant tout humaine. Source du film du même nom.
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Jean-Paul Salomé. 2022. La syndicaliste. Long métrage de 120 min, avec Isabelle Huppert.


↑ Rapport de la cour des comptes sur l'EPR de Flamanville, 9 juillet 2020.

↑ Michel Labrousse et Bernard Laponche. 2024. L'EPR de Flamenville: doutes et Risques. Global Chance.

↑ Commission permanente sur le développement durable. 2024. Rapport Folz: crilan, officiel . Assemblée nationale.

↑ Pourquoi EDF a-t-il autant sous-estimé le coût et la durée du chantier de l'EPR de Flamanville ? 20 décembre 2024. FranceInfo.

Le réacteur naturel d'Oklo

Pro et antinucléaires dans le monde


Références

 World Nuclear Industry Status Report 2018.
Une étude indépendante coordonée par Mycle Schneider.

 gazettenucleaire.org.
Publication du Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire (GSIEN).

 Questions sur le nucléaire
D. Pignon et al.. 1975. Questions sur le nucléaire. Christian Bourgois éditeur.

 L'Electronucléaire en France
Syndicat CFDT de l'énergie atomique. 1975. L'Electronucléaire en France. Le Seuil.
En son temps, une des références de tous les opposants au nucléaire. Même si ce document, parce que centré sur la France occulte certaines filières (en particulier celle des sels fondus), il reste quasi exemplaire d'un haut niveau scientifique couplé à une analyse critique de la situation, alors que tous les écrits des scientifiques pronucléaires sont systématiquement tronqués de façon à orienter le jugement (mensonge par omission). Cette page doit énormément à ce livre.

Bibliographie

Adresse de cette page: http://www.didac-tic.fr/concepts/ecosystem/history_of_ecology/nuclear.php